Tensions irano-américaines – Analyse et décryptage
Assassinat du général Qassem Soleimani : les faits
Le 3 janvier 2020, près de l’aéroport de Bagdad (Irak), l’armée américaine a assassiné, avec un drone de précision, le général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique.
Dans un communiqué, le Pentagone a revendiqué l’assassinat du commandant en chef de la Force Al-Qods affirmant que « l’ordre de l’assassinat est venu du président américain », et d’ajouter « l’armée américaine a assassiné Soleimani dans un acte destiné à défendre le personnel américain en dehors des frontières américaines ».
Le texte du Pentagone accuse la Force Al-Qods d’être à l’origine du chahut mardi 31 décembre 2019 des foules d’Irakiens en colère contre l’ambassade américaine à Bagdad[i]. Il s’agit évidemment là d’un prétexte pour cette attaque préventive contre le général Soleimani qui allait, dans un futur hypothétique, intenter à la vie du personnel américain. Nous verrons plus loin que ce prétexte fut utilisé à l’été 2019 par les Faucons néo-conservateurs pour provoquer et justifier une guerre contre l’Iran.
Le général Soleimani, à la tête de l’unité d’élite, la Force al-Qods, était une sorte de chef d’état-major bis, mais aussi d’alter ego du ministre des Affaires étrangères. Il incarnait la puissance iranienne bâtie hors de ses frontières, via un réseau de milices locales, qui lui obéissaient. Le grand reporter Georges Malbrunot, dans un article du 4 janvier 2020, fait également état des pertes causées à l’armée américaine par ces milices :
« C’était notamment le cas de l’Irak, où les États-Unis et l’Iran se livrent une guerre par procuration. Une guerre, déjà ancienne. Entre 2006 et 2010, 600 soldats américains, selon le Pentagone, sont morts en Irak dans des attaques sophistiquées perpétrées par des milices irakiennes pro-iraniennes. Barack Obama avait décidé de ne pas frapper l’Iran en représailles… Les tensions ont grimpé en Irak après le retrait américain l’an dernier de l’accord nucléaire et des attaques de milices contre les installations pétrolières saoudiennes, mais surtout après le harcèlement par ces mêmes milices des bases irakiennes où sont stationnés des soldats américains. Et ce jusqu’à la mort d’un contractant américain par l’une de ces milices, Kataëb Hezbollah, il y a une semaine. Le Rubicon était alors franchi.
Les représailles américaines contre des camps du Kataëb Hezbollah, qui firent 25 morts, ont entraîné mardi une tentative de prise d’assaut de l’ambassade américaine à Bagdad. Sentant monter la réédition traumatisante du scénario iranien de 1979, Donald Trump s’est alors laissé convaincre par ses collaborateurs qui lui conseillaient d’éliminer Qassem Soleimani. Un pari pourtant extrêmement risqué, comme l’a souligné l’ancien vice-président Joe Biden, pour qui Donald Trump a ‘‘jeté un bâton de dynamite sur une poudrière’’. »[ii]
Compte tenu de cette augmentation brutale de la tension, et des risques que cela entraîne pour la « sécurité » des bases américaines et de leurs alliés du Golfe (saoudiens et émiratis), le Pentagone a approuvé l’envoi de 3 000 soldats en renfort au Moyen-Orient à titre « préventif ».
Dans un article du 3 janvier 2020, Thierry Oberlé, grand reporter, écrivait dans Le Figaro, que « Les Israéliens en rêvaient, Donald Trump l’a fait. L’assassinat ciblé du général Qassem Soleimani, chef iranien des Gardiens de la révolution et homme fort de la politique perse au Moyen-Orient, sème le trouble en Israël. Depuis de nombreux mois, les services de renseignements locaux avaient imaginé des scénarios d’élimination de leur principal ennemi présumé, dont ils suivaient les déplacements, tout en hésitant sur la conduite à tenir. La crainte était de voir s’ouvrir, en cas de raid contre lui, un cycle de représailles via des tirs de missiles du Hezbollah libanais ou de groupes palestiniens pouvant mettre en cause la vie de civils israéliens et la stabilité de la région. Le pas a été franchi. »[iii]
Thierry Oberlé signale que le général Soleimani aurait survécu à plusieurs projets d’assassinats israéliens, avant d’être abattu par les Américains.
Le Djihad islamique, un groupe armé palestinien de Gaza, a publié un message de deuil à la suite de la mort du général Soleimani, affirmant que son assassinat reflète les crimes des États-Unis et leur soutien continu à Israël et à l’occupation des territoires palestiniens. Le responsable du Djihad islamique à Gaza, Mohammed al-Hindi, a déclaré que « le gouvernement américain et le président Trump prouvent qu’ils travaillent pour Israël. »[iv]
Le ministre israélien de la Défense, Naftali Bennett, a convoqué, le vendredi 3 janvier 2020, les hauts gradés de l’armée, dont le chef d’état-major Aviv Kochavi et les hauts responsables de la sécurité, pour une évaluation de la sécurité. « La radio de l’armée a déclaré que Tsahal était en état d’alerte renforcée. Israël a monté son niveau de sécurité dans ses missions à l’étranger. Et l’armée israélienne augmente ses systèmes de défense aérienne et terrestre pour se préparer à l’éventualité d’une vengeance. Le mont Hermon, à la frontière entre Israël et la Syrie, est fermé aux visiteurs. Les résidents du plateau du Golan ont indiqué que leurs téléphones portables, Internet et leurs lignes fixes fonctionnent beaucoup plus lentement que d’habitude », rapporte Thierry Oberlé.
Quant au premier ministre, Benjamin Netanyahou, il a interrompu son voyage en Grèce, et a déclaré : « Israël se tient aux côtés des États-Unis dans leur juste combat », et a ajouté « Tout comme Israël a le droit de se défendre, les États-Unis ont exactement le même droit. Qassem Soleimani est responsable de la mort de citoyens américains et d’autres innocents, et il prévoyait de nouvelles attaques. »
Ces dernières semaines, la confrontation indirecte entre Israël et l’Iran s’était étendue à l’Irak, comme l’a souligné le général Kochavi, le chef d’état-major de l’armée israélienne. Selon lui, l’Iran profite de l’agitation qui règne en Irak pour faire passer en Syrie des armes sophistiquées, notamment des missiles destinés à ses « conseillers militaires » dans ce pays, à ses alliés ainsi qu’au Hezbollah libanais. L’aviation israélienne avait frappé récemment les principaux points de passage entre l’Irak et la Syrie.
Aviv Kochavi se préparait à « une confrontation limitée » avec Téhéran. Plusieurs centaines de raids ont eu lieu ces dernières années. Jusqu’à présent, les Iraniens n’ont pas réagi en lançant des représailles massives. Mais la plupart des commentateurs militaires israéliens estiment que la République islamique peut difficilement rester les bras croisés, et réagira tôt ou tard à partir de la Syrie, de l’Irak ou du Liban[v].
C’est également l’opinion de Marc Martinez, spécialiste du Golfe : « La mort de Soleimani ne va désorganiser ni la Force al-Qods ni les gardiens de la révolution. Les commandos qu’ils ont formés hors d’Iran l’ont été avec le souci d’être autonomes, ils peuvent opérer avec un minimum de supervision», que ce soit en Irak ou en Syrie, autre théâtre d’opérations des hommes de Soleimani. Et de conclure « Trump joue à la roulette russe avec un revolver chargé à bloc. L’Iran va frapper, l’unique question est de savoir sur quel terrain ? »[vi].
Une analyse qui est vraisemblablement confirmée par le responsable du Djihad islamique à Gaza qui a prévenu : « Ils vivent dans l’illusion que cet assassinat crée une opportunité de changement stratégique au profit des États-Unis, d’Israël et de leurs alliés dans la région, mais ce sera une occasion de changer la tendance et les actions contre l’intervention et l’expansion des États-Unis et d’Israël au Moyen-Orient. »
Les commanditaires de l’assassinat du général Soleimani
Donald Trump et l’armée américaine ont certes appuyé sur la gâchette, mais la question qui nous intéresse ici est la suivante : qui a milité au sein de l’appareil d’État américain en faveur de l’assassinat du général Soleimani ?
Une enquête de la chaîne américaine NBC News révèle que l’assassinat du général Soleimani était une opération conjointe de la CIA et des services israéliens qui avaient des informateurs à Damas et à Bagdad.[vii]
Les informations qui ont permis de tuer Qassem Soleimani provenaient d’espions recrutés par la CIA au sein du service de sécurité de l’aéroport. Le nom du général et des membres de son escorte n’étant pas sur la liste des passagers, les passagers iraniens déposés au bas de la passerelle embarquant directement dans l’avion.
Gilles Munier, analyste et grand spécialiste de l’Irak, rapporte ainsi les détails de l’opération : « L’armée américaine a alors suivi par satellite l’avion au bord du quel était Qassem Soleimani, puis a fait décoller des drones tueurs garés sur la base Aïn al-Assad dans la région d’Al-Anbar. Le drone MQ9 Reaper transmettait, en temps réel, au Pentagone et à la CIA le déroulement de l’opération. D’autres espions américains infiltrés à l’aéroport de Bagdad confirmèrent ensuite l’heure d’atterrissage de l’Airbus et signalèrent sans doute qu’Abou Mahdi al-Muhandis – chef du Hezbollah irakien et n°2 des Hachd al-Chaabi – accueillerait le général. On connaît la suite : à la sortie de l’aéroport, deux tirs de missiles Hellfire (Feu de l’enfer) pulvérisèrent le véhicule blindé transportant Qassem Soleimani et Muhandis, un autre celui de leurs gardes du corps. »[viii]
La directrice de la CIA, Gina Haspel, observait l’opération depuis le siège de l’agence à Langley, en Virginie. Le Secrétaire à la Défense Mark Esper observait d’un autre endroit. Un autre canal transmettait à la Maison Blanche, mais le Président Donald Trump était en Floride à ce moment-là.
Les autorités irakiennes étaient particulièrement mécontentes de cet assassinat perpétré sur leur sol et sans consultation préalable. Deux responsables irakiens de la sécurité ont déclaré à Reuters qu’ils enquêtaient sur le rôle d’informateurs américains présumés à l’aéroport de Bagdad. Falah Al-Fayyad – conseiller à la sécurité nationale et coordinateur en chef des Hachd – mène l’enquête dans l’espoir de démanteler le réseau pro-américain impliqué dans l’opération. À Damas également, des suspects ont été arrêtés ; les services de renseignements syriens enquêtent sur deux employés de Cham Wings[ix]. Un espion à l’aéroport de Damas et un autre à bord de l’avion dans lequel voyageait le général Soleimani, précise Reuters.[x]
Des responsables américains ont déclaré à NBC News qu’ils suivaient de près les déplacements de Soleimani dans la région depuis plusieurs jours. L’administration Trump affirme qu’il planifiait des attaques contre les Américains, bien qu’ils n’aient publié aucune preuve. « Nous avions des informations précises sur une menace imminente », a déclaré le secrétaire d’État Mike Pompeo lors d’une conférence de presse tenue vendredi 10 janvier à la Maison-Blanche. « Et ces menaces comprenaient des attaques contre des ambassades américaines. »[xi]
Nous l’avons écrit plus haut, d’après NBC News Israël a joué un rôle déterminant en confirmant la présence du général Soleimani le 3 janvier à bord du vol Damas-Bagdad de l’Airbus A320 de Cham Wings Airlines.
Selon le New York Times, le Premier ministre Benjamin Netanyahu était probablement le seul allié des États-Unis au courant de l’assassinat, ayant parlé au préalable avec le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo.[xii]
Avigdor Liberman, ancien ministre de la Défense de l’État hébreu et chef du parti politique Yisrael Beytenu, a déclaré que l’information rapportée par le New York Times était basée sur des sources israéliennes, ce qui, selon lui, était un mauvais jugement. Il a ajouté, durant une interview à la radio, « Ils (les journalistes du New York Times) s’appuient généralement sur des sources israéliennes… Je vous suggère de vérifier qui ils sont ». Et Liberman poursuit : « Nous devons prendre nos distances avec cela. L’ambiguïté et le silence sont les meilleures choses pour nous. »
Le journal israélien Jerusalem Post, qui a rapporté les propos d’Avigdor Liberman, rappelle que « malgré ses commentaires, en 2017, Liberman lui-même a essentiellement confirmé l’implication d’Israël dans l’aide apportée aux États-Unis pour contrecarrer une attaque planifiée de l’ISIS, durant un discours prononcé lors d’un événement de l’Association du Barreau israélien. C’était à un moment où les officiels israéliens étaient pour la plupart muets à propos de l’histoire qui a éclaboussé les premières pages des médias à travers le monde. »
Et le Jerusalem Post conclut ainsi son article : « Tout cela signifierait que la frappe du 3 janvier faisait partie d’une campagne prolongée des Occidentaux et des Israéliens pour éliminer Soleimani ».
Assassiner le général Soleimani : un projet des réseaux néo-conservateurs pro-israéliens
Depuis la mort de l’ancien président « modéré » Ali Akbar Rafsandjani, des médias occidentaux – reprenant des dépêches de l’agence Reuters[xiii]en janvier 2017 – s’inquiètent de la « montée en puissance des Gardiens de la révolution » en Iran. Pour cela, ils mettaient en avant, notamment, la présence du général Qassem Soleimani, chef de la Force al-Quds considéré en Occident comme un « dur de dur », parmi les personnalités se recueillant devant le cercueil[xiv].
Dans une tribune publiée le 17 janvier 2017 sur le
site Ekurd[xv](un site d’information kurde
indépendantiste), Michael Rubin[xvi],
chercheur (juif américain et pro-israélien) à l’American Enterprise
Institute (AEI) et ancien officiel du Pentagone, agitait à nouveau la
menace que faisait peser le général Soleimani sur la politique américaine au
Proche-Orient. Il se demandait pourquoi son nom n’était pas sur la liste des «
terroristes » recherchés par les États-Unis. Pour Rubin, Qassem Suleimani
était un des plus grands terroristes vivants. Il l’accusait d’avoir fait tuer «
des centaines d’Américains en Irak et en Afghanistan et même planifié une
attaque terroriste contre Washington ».
Il suggérait à l’administration Trump – où
il compte de nombreux amis, et alors que Donald Trump entamait tout juste son
mandat – d’envoyer des forces spéciales capturer le général[xvii].
L’on voit donc d’où vient la fameuse accusation (le prétexte) avancé par Donald Trump et Mike Pompeo selon lesquels Soleimani préparait des attaques contre les États-Unis.
L’American Enterprise Institute dont est membre Michael Rubin est un important think tank. C’est d’ailleurs devant ses membres que George W. Bush a exposé[xviii], en février 2003, « son » projet de démembrement du Proche-Orient[xix]. Rubin, qui a conseillé l’Autorité provisoire de la Coalition – organisme créé pour administrer l’Irak après l’invasion de 2003 – ainsi que Donald Rumsfeld au Pentagone, y est considéré comme un spécialiste du monde arabo-kurde.
D’ailleurs, dès le 20 janvier 2017, Gilles Munier écrivait « En Iran, j’ai pu le constater, le général Soleimani jouit d’une immense popularité. Il est considéré comme un héros, voire adulé. Une action menée pour l’enlever – comme cela a été le cas sous l’administration W. Bush – ou pour le faire tuer par un drone, ne serait pas seulement abracadabrantesque, d’une irresponsabilité crasse, mais un crime aux répercussions telluriques. »[xx]
Lors d’une intervention le 2 décembre 2017 au Forum annuel consacré à la Défense organisé par la Fondation Ronald Reagan (Californie), Mike Pompeo (qui est un fanatique évangélique faisant partie des chrétiens sionistes[xxi]), alors directeur de la CIA, a révélé qu’il a adressé une lettre personnelle[xxii] au général Qassem Soleimani, mais que ce dernier avait refusé de l’ouvrir. Mike Pompeo a dit devant la commission :
« Ce que nous lui avons indiqué dans cette lettre est que nous tiendrons l’Iran et lui pour responsables de toute attaque à l’encontre des intérêts américains en Irak effectuée par des troupes placées sous leur contrôle. »
Gilles Munier commentait ainsi cette lettre dans un article du 3 décembre 2017 : « Mike Pompeo espérait que ce qu’il sous-entendait par là était « clair comme du cristal ». Veut-il dire qu’il ordonnerait de l’assassiner ? »[xxiii]
Le directeur de la CIA visait tout particulièrement les Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi), considérées comme étant sous la coupe de la Brigade Al-Quds, dont plusieurs chefs réclament le départ des troupes américaines d’Irak et menacent de les attaquer si le Pentagone ne les rappelle pas.
Selon un conseiller d’Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique iranienne, la lettre a été remise en novembre 2017 au général qui se trouvait alors à Abou Kamal, ville située à la frontière syro-irakienne. Qassem Soleimani a répondu au messager de la CIA : « Je ne prendrai pas votre lettre, je ne la lirai pas et je n’ai rien à dire à ces gens. »[xxiv]
L’assassinat du général Soleimani, une nouvelle provocation pour entraîner les États-Unis dans la guerre ?
L’assassinat du général Soleimani est la deuxième importante provocation contre l’Iran en moins d’un an.
Le jeudi 13 juin 2019, deux pétroliers, le Front Altair et le Kokula Courageous, respectivement sous pavillon des îles Marshal et du Panama, ont été attaqués en mer d’Oman, près du détroit d’Ormuz. 44 membres d’équipage ont été repêchés par des secouristes iraniens puis débarqués dans un port de la République islamique d’Iran, selon l’agence de presse officielle Irna.
Les États-Unis ont immédiatement attribué la responsabilité de l’incident à l’Iran, qui a rejeté ces accusations en les qualifiants de non fondées.
La Navy étasunienne a publié, le jeudi 13 juin 2019 (le jour même de l’incident), une vidéo très floue, où selon les responsables américains, on peut voir un équipage iranien retirer après coup une mine « limpet » (mine marine posée sur une cible avec des aimants) qui était posée sur la coque mais n’a pas explosé. De son côté, l’Iran a assuré que son équipage était là pour porter secours au pétrolier.
Le vendredi 14 juin 2019, un officiel américain a affirmé sur CNN que l’Iran a tiré un missile sol-air visant un drone américain (qu’il a manqué) quelques heures avant l’attaque contre les pétroliers. L’officiel américain a précisé que le drone américain MQ-9 Reaper aurait identifié des navires iraniens approchant des pétroliers, sans toutefois indiquer si le drone avait repéré les navires en train de mener l’attaque[xxv].
Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Abbas Mousavi, a répondu que « Ces accusations sont alarmantes » et d’ajouter « Ces attaques (contre les pétroliers) arrangent bien les officiels américains ».
Dans la séquence précédent l’incident des pétroliers, les Faucons pro-israéliens américains préparaient le terrain et tentaient déjà de justifier une éventuelle guerre contre l’Iran. Un des prétextes avancés était que Téhéran était sur le point de lancer une attaque contre les intérêts américains dans le Golfe (le même prétexte qui a justifié l’assassinat de Qassem Soleiman). Une « information » transmise au conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis, John Bolton, par le Mossad, lors d’une rencontre à la Maison Blanche, entre Bolton et le conseiller à la sécurité nationale israélien Meir Ben Shabbat[xxvi].
Un officiel israélien a déclaré à propos de cette « menace » iranienne :
« Ce qu’essayent de faire les Iraniens et comment ils planifient de le faire n’est pas encore clair pour nous, mais il est clair pour nous que la température iranienne augmente et qu’elle résulte de la campagne de pression américaine contre eux, et ils envisagent des représailles contre les intérêts américains dans le Golfe. »[xxvii]
Or, nous avons toute la documentation prouvant que les Israéliens et leur lobby sont, depuis de nombreuses années, derrière la campagne de pression américaine sur l’Iran[xxviii].
Vengeance et realpolitik
Après l’assassinat du général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020, les Iraniens ont exercé, dans la nuit du mardi 7 au mercredi 8 janvier, leur droit à la vengeance en frappant deux bases militaires américaines en Irak. Le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, a précisé que ces frappes étaient « conformes à la Charte de l’ONU », et de préciser que « l’Iran a pris et terminé des mesures d’autodéfense proportionnées »[xxix].
Depuis Téhéran, la journaliste de Francetv Info, Stéphanie Perez, rapporte que les Iraniens auraient prévenu les autorités irakiennes avant de frapper. Et elle ajoute « il n’y a pas de victimes américaines, la ligne rouge n’a donc pas été franchie. À l’arrivée, la République islamique montre sa capacité de résistance tout en semblant prouver sa volonté de désescalade. »[xxx]
Les autorités iraniennes ont annoncé 80 morts militaires américains, tandis que Donald Trump s’est montré rassurant, dès le 8 janvier avec un Tweet commençant par « Tout va bien ! ». Et il a affirmé qu’il n’y a eu aucune victime. Il a en outre annoncé de nouvelles sanctions « immédiates » contre l’Iran et à invité les Européens à quitter l’accord sur le nucléaire iranien.
Toutefois, et comme à son habitude de souffler le chaud et le froid, le président américain a été explicite quant à sa volonté d’éviter la guerre, déclarant que les États-Unis sont « prêts à la paix » avec ceux qui la voulaient, qu’ils ne souhaitent pas utiliser leurs armes et que leur force économique est leur meilleur moyen de dissuasion. « L’Iran semble reculer », s’est réjouit Trump, alors que les Iraniens avaient frappé les bases américaines.
Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khameneï, qui ne pouvait pas laisser impuni le meurtre de son précieux général, s’est satisfait publiquement de la « gifle donnée en pleine face » des États-Unis. Les Iraniens sont donc satisfaits de n’avoir pas perdu la face.
François Heisbourg, conseiller principal pour l’Europe de l’International Institute for Strategic Studies (et ancien membre du Centre d’analyse et de prévision du ministère français des Affaires étrangères), pense que l’assassinat du général Soleimani pourrait produire une poussée des Gardiens de la révolution vers une prise de contrôle du gouvernement iranien. « L’Iran va réagir », a-t-il dit avant les frappes contre les bases américaines. « Mais cela va-t-il déclencher une nouvelle dynamique au sein du gouvernement iranien ? » s’est-il interrogé.[xxxi]
Or, l’on peut se demander si l’armée iranienne – qui au fond, par ces frappes, a cherché non pas à déclencher une guerre mais à sauver la face – n’a pas prévenu l’armée américaine via les autorités irakiennes.
Rapport de force et diplomatie
François Heisbourg, dont les propos sont rapportés par le New York Times, prolonge son analyse : « Pourtant, la mort d’un commandant militaire aussi éminent ne changera peut-être pas le calcul fondamental de l’Iran concernant ses propres intérêts, qui ont jusqu’ici signifié la dissolution des bords de l’accord nucléaire sans inciter les Européens à l’abandonner. »
Concluant sur une note plus optimiste, M. Heisbourg pense qu’étant donné le désir déclaré de M. Trump d’éviter un nouvel engagement militaire américain dans le monde, il pourrait maintenant – après avoir fait preuve de fermeté – être plus ouvert à la négociation avec l’Iran.
Et le journaliste du New York Times, Steven Erlanger, écrit : « Et l’Iran, après quelques représailles mesurées – après avoir observé les tactiques du dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, avec M. Trump – pourrait même s’y rallier. »
Frederica Mogherini, qui était, jusqu’au 30 novembre 2019, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a qualifié le meurtre du général Soleimani d’ « escalade extrêmement dangereuse » au Moyen-Orient. Mais elle a déclaré sur Twitter qu’elle espérait que « certaines des réalisations diplomatiques du passé seront préservées ».
Mais pour Nathalie Tocci, directrice de l’Institut italien des Relations Internationales, « Même avant cet assassinat, l’Iran envisageait de procéder à un enrichissement de 20 %, mais il est maintenant raisonnable de supposer que ce sera le cas et même plus. »
Les Européens « auraient dû être plus courageux » sur l’accord nucléaire, ajoute-t-elle. « Cela aurait inclus la mise en place de son système commercial alternatif avec l’Iran – destiné à contourner les sanctions économiques américaines – plus rapidement et à plus grande échelle, et pas seulement pour les biens humanitaires. Seulement deux millions de dollars d’échanges commerciaux étaient en jeu ce mois-ci pour le programme de troc, connu sous le nom d’Instex – un montant que les Iraniens considèrent comme risible », souligne l’analyste italienne. « Cela aurait pu être 200 millions de dollars », a-t-elle avancé, avec plus de courage et d’autonomie de la part des Européens.
Le programme a également été entravé par une initiative distincte du président français Emmanuel Macron, qui a tenté d’être un médiateur entre Washington et Téhéran pour un programme de paiement anticipé des ventes de pétrole iranien. L’Iran s’est enthousiasmé à ce sujet, selon Nathalie Tocci, mais « Macron a essayé en septembre d’obtenir la permission de Washington et on lui a dit « Non » ».
Elle explique que cette initiative « très française, était une énorme distraction, et trois mois ont été perdus ». Et avec les élections (législatives) iraniennes qui auront lieu le 21 février 2020, « étant donné que les conservateurs étaient destinés à gagner, même les modérés auraient fait des gestes relativement durs maintenant. »
La diplomatie façon Donald Trump
Malgré certaines voix qui s’élèvent en Europe, le Vieux Continent est encore et toujours à la remorque de la politique étrangère des États-Unis. Par conséquent, ce sont les décisions de Trump, et plus précisément la tactique qui se cache derrière ses déclarations spectaculaires et ses actions théâtrales, qu’il faut analyser en premier lieu.
On l’a vu avec la Corée du Nord, Donald Trump a fait alterner les menaces extrêmement violentes, les insultes, et les messages amicaux en direction de Kim Jong-un, pour finalement s’asseoir avec lui à la table des négociations ; lesquelles n’ont d’ailleurs à ce jour pas abouti.
Le 11 janvier 2020, Donald Trump a adressé ses meilleurs vœux à Kim Jong-Un à l’occasion de son 38e anniversaire, mais « cela reste insuffisant » pour un retour à la table des négociations, selon un communiqué publié le samedi 11 janvier 2020 par l’agence de presse nationale KCNA. M. Kim a « une bonne estime » du président Trump, a déclaré le conseiller du ministère nord-coréen des Affaires étrangères, Kim Kye Gwan. « Mais nous avons été induits en erreur par les États-Unis, qui nous ont fait perdre notre temps dans un dialogue qui a duré plus d’un an et demi », a-t-il ajouté. On remarquera ici que les Nord-Coréens font la distinction entre Donald Trump et le gouvernement étasunien.
La Corée du Nord ne compte pas « renoncer à ses installations nucléaires contre une levée partielle des sanctions et ne reprendra les pourparlers que lorsque les États-Unis seront prêts à faire des concessions », a poursuivi le chef de la diplomatie nord-coréenne.[xxxii]
Lors de la précédente crise irano-américaine, en juin 2019, Donald Trump a employé la même technique, lorsque l’Iran a abattu un drone américain qui survolait son espace aérien.
Le jour même où le drone américain a été abattu (jeudi 20 juin 2019), Donald Trump a tweeté :
« L’Iran a commis une énorme erreur ! »
Puis, il a soufflé le chaud et le froid, déclarant d’abord qu’il n’excluait pas une réponse américaine au drone abattu : « Vous verrez », a-t-il lancé ; avant d’évoquer l’hypothèse d’une erreur humaine, car selon le président américain, quelqu’un de « lâche et stupide » en Iran porte la responsabilité d’avoir abattu le drone. Il a ainsi évité de mettre en accusation les dirigeants iraniens.
Suivant toujours sa tactique, un pas en avant vers la guerre et deux pas en arrière pour l’éviter, le président Trump a initialement donné son approbation à une attaque militaire contre l’Iran, avant de revenir en arrière dans la nuit du jeudi au vendredi 21 juin 2019.
D’après le New York Times, jusqu’à 19h (le jeudi 20 juin 2019) les militaires et diplomates américains s’attendaient à une frappe, après d’intenses discussions et débats à la Maison Blanche parmi les membres de la sécurité nationale et des leaders du congrès.
Les officiels américains ont fait savoir au New York Times que le président a initialement approuvé des attaques contre une poignée de cibles iraniennes, comme des radars et des batteries de missiles. Les avions étaient dans les airs et les navires en position, mais aucun missile n’avait été lancé quand l’ordre d’abandonner l’attaque fut donné[xxxiii].
Le vendredi 21 juin 2019, les officiels iraniens ont informé Reuters que Téhéran a reçu un message de la part du président américain Donald Trump via Oman, avertissant qu’une attaque américaine sur l’Iran était imminente.
Un des officiels iraniens, sous couvert d’anonymat, a révélé à Reuters le contenu du message :
« Dans ce message, Trump a dit qu’il était opposé à toute guerre contre l’Iran et qu’il voulait discuter avec Téhéran de plusieurs questions… il a donné un court délais pour avoir notre réponse mais la réponse immédiate de l’Iran est qu’il revenait au Guide Suprême (Ayatollah Ali) Khameneï de décider cela. »[xxxiv]
Le deuxième officiel iranien qui s’est exprimé a déclaré :
« Nous avons été clairs : le Guide Suprême est opposé à toute discussion, mais le message qui sera transmis est que la décision lui reviendra… Toutefois, nous avons dit à l’officiel Omani que toute attaque contre l’Iran aura des conséquences régionales et internationales. »
Manifestement, et si l’on s’en tient aux faits, et non pas aux déclarations contradictoires du président américain, l’objectif de Donald Trump concernant l’Iran et la Corée du Nord, n’est pas d’aller à la guerre ni même d’arriver à un accord, mais plutôt de donner le change à l’État profond et au lobby pro-israélien, et ainsi de gagner du temps jusqu’à son second mandat.
Youssef
Hindi
Le 20
janvier 2020
[i] https://reseauinternational.net/selon-liran-le-pentagone-a-assassine-le-commandant-en-chef-de-la-force-qods-sur-lordre-du-president-us/
[ii] Georges Malbrunot, « Etats-Unis-Iran : le risque d’un embrasement », Le Figaro, 04/01/2020.
[iii] Thierry Oberlé, « Mort de Soleimani : solidaire des Etats-Unis, Israël craint des représailles », Le Figaro, 03/01/2020.
[iv] Thierry Oberlé, « Mort de Soleimani : solidaire des Etats-Unis, Israël craint des représailles », Le Figaro, 03/01/2020.
[v] Thierry Oberlé, « Mort de Soleimani : solidaire des Etats-Unis, Israël craint des représailles », Le Figaro, 03/01/2020.
[vi] Georges Malbrunot, « Etats-Unis-Iran : le risque d’un embrasement », Le Figaro, 04/01/2020.
[vii] https://www.nbcnews.com/news/mideast/airport-informants-overhead-drones-how-u-s-killed-soleimani-n1113726
[viii] http://www.france-irak-actualite.com/2020/01/israel-a-joue-un-role-determinant-dans-l-assassinat-du-general-qassem-soleimani.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail
[ix] https://www.reuters.com/article/us-iraq-security-soleimani-exclusive/exclusive-informants-in-iraq-syria-helped-us-kill-irans-soleimani-sources-idUSKBN1Z829L
[x] https://www.reuters.com/article/us-iraq-security-soleimani-exclusive/exclusive-informants-in-iraq-syria-helped-us-kill-irans-soleimani-sources-idUSKBN1Z829L
[xi] https://www.nbcnews.com/news/mideast/airport-informants-overhead-drones-how-u-s-killed-soleimani-n1113726
[xii] https://www.jpost.com/Middle-East/Israeli-intel-helped-the-US-assassinate-Soleimani-report-613899
[xiii] https://fr.news.yahoo.com/linfluence-des-gardiens-appel%C3%A9e-%C3%A0-grandir-encore-en-120039040.html
[xiv] https://fr.news.yahoo.com/des-milliers-diraniens-aux-fun%C3%A9railles-rafsandjani-095051038.html
[xv] https://ekurd.net/snatch-iran-qassem-soleimani-2017-01-17
[xvi] https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_Rubin
[xvii] http://www.france-irak-actualite.com/2017/01/le-general-qassem-suleimani-cible-prioritaire-de-l-administration-trump.html
[xviii] https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2003/02/20030226-11.html
[xix] Un projet élaboré par les Israéliens en 1982 et connu sous le nom de « Plan Oded Yinon ». Voir : Youssef Hindi, Occident & Islam – Tome I : Sources et genèse messianiques du sionisme, Sigest, 2015, chapitre IV.
[xx] http://www.france-irak-actualite.com/2017/01/le-general-qassem-suleimani-cible-prioritaire-de-l-administration-trump.html
[xxi] https://dev.strategika.fr/2020/01/10/pompeo-soros-et-liran-de-la-necessite-vitale-dun-souverainisme-non-aligne/
[xxii] https://fr.reuters.com/article/companyNews/idFRL8N1O301V
[xxiii] http://www.france-irak-actualite.com/2017/12/une-lettre-de-menace-du-directeur-de-la-cia-au-general-suleimani-0.html
[xxiv] https://en.farsnews.com/newstext.aspx?nn=13960912000881
[xxv] https://www.haaretz.com/middle-east-news/u-s-official-iran-launched-missile-at-an-american-drone-before-gulf-tankers-attack-1.7370267
[xxvi] https://www.axios.com/israel-warned-trump-of-possible-iran-plot-bolton-34f25563-c3f3-41ee-a653-9d96b4541984.html
[xxvii] https://www.axios.com/israel-warned-trump-of-possible-iran-plot-bolton-34f25563-c3f3-41ee-a653-9d96b4541984.html
[xxviii] Voir : Stephen Walt et John Mearsheimer, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, 2009, La Découverte.
[xxix] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/tirs-de-missiles-iraniens-tout-va-bien-selon-trump-les-europeens-condamnent-1161149
[xxx] https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/frappes-iraniennes-une-riposte-soigneusement-orchestree_3776431.html
[xxxi] https://www.nytimes.com/2020/01/03/world/europe/soleimani-iran-nuclear.html?smid=nytcore-ios-share
[xxxii] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1578732811-trump-souhaite-un-bon-anniversaire-a-kim-jong-un-mais-cela-ne-suffit-pas-selon-pyongyang
[xxxiii] https://www.nytimes.com/2019/06/20/world/middleeast/iran-us-drone.html
[xxxiv] https://www.haaretz.com/us-news/trump-warned-iran-via-oman-that-u-s-strike-was-imminent-called-for-talks-1.7399574?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter