Ces « théories du complot » qui sont souvent avérées
Par Philip GIRALDI
Philip Giraldi (né en 1946) est un ancien spécialiste de la lutte contre le terrorisme et officier de renseignement militaire de la Central Intelligence Agency (CIA) des États-Unis. Chroniqueur et commentateur de télévision, il est le directeur exécutif du Council for the National Interest. En tant qu’auteur et analyste, Giraldi écrit une chronique régulière pour le webzine The Unz Review, dont il est le rédacteur en chef pour les questions de sécurité intérieure américaine. Il est aussi un contributeur régulier du centre d’analyse strategic culture foundation.
Nous publions ce texte au vu du parcours de l’auteur bien que la thématique du « complot » nous apparaisse comme biaisée dès le départ. Car pour ce qui relève du globalisme politique, il ne s’agit pas d’un ou de plusieurs « complots » isolés mais bien d’un projet de société dont on peut faire l’histoire, dessiner les contours et identifier les acteurs et promoteurs. Un projet de démolition contrôlée et de reconfiguration des sociétés mené sur le long terme qui avance par étapes en suivant des stratégies politiques précises.
Quelle est la meilleure façon de démystifier une théorie du complot ? Désignez là comme une théorie du complot, une étiquette qui en soi implique l’incrédulité. Le seul problème est qu’il y a eu de nombreux complots bien réels à travers l’Histoire et que beaucoup d’entre eux ne furent pas du tout de nature théorique. Des conspirations de plusieurs types ont ainsi entraîné la participation américaine aux deux guerres mondiales. Et quel que soit le sentiment que l’on éprouve à l’égard du président Donald Trump, il faut reconnaître qu’il a été victime d’un certain nombre de conspirations, d’abord pour lui refuser la nomination au GOP (NDT : le Parti républicain est surnommé « Grand Old Party » – GOP) , ensuite pour s’assurer qu’il soit battu à l’élection présidentielle, et enfin pour délégitimer complètement sa présidence.
Avant Trump, il y a eu de nombreuses « théories » du complot, dont beaucoup étaient tout à fait plausibles. Le « suicide » du secrétaire à la défense James Forrestal vient à l’esprit, suivi par l’assassinat de John F. Kennedy, qui a été crédité de manière crédible à la fois à Cuba et à Israël. Et puis il y a le 11 septembre, peut-être la plus importante de toutes. Israël savait clairement que cela allait arriver, comme en témoignent les cinq israéliens dansants qui s’agitent et se filment dans le New Jersey au moment de l’effondrement des tours jumelles. Les Saoudiens ont également pu jouer un rôle dans le financement et même la direction des présumés pirates de l’air. Et nous avons également été témoins de la conspiration des néoconservateurs pour fabriquer des informations sur les armes de destruction massive de l’Irak et de la conspiration continue des mêmes acteurs pour dépeindre l’Iran comme une menace pour les États-Unis.
Étant donné les multiples crises que connaissent actuellement les États-Unis, il est peut-être inévitable que les spéculations sur les conspirations soient à leur plus haut niveau. Pour l’Américain moyen, il est incompréhensible que le pays soit devenu si mal en point parce que l’élite politique et économique est fondamentalement incompétente, de sorte que la recherche d’un bouc émissaire doit se poursuivre.
Il existe un certain nombre de théories de conspiration sur le coronavirus qui font actuellement le tour du monde. Les « libertariens » et les dissidents pensent que le virus est en fait une grippe exploitée pour les priver de leurs libertés, ils sont convaincus que de nombreux membres du gouvernement et des médias ont conspiré pour vendre ce qui serait essentiellement une fraude. L’un d’eux emploie une analogie, à savoir que puisque plus d’Américains sont tués dans des accidents de voiture que par le coronavirus, il serait plus approprié d’interdire les voitures que d’exiger le port de masques faciaux.
Une autre théorie qui fait le tour du monde accuse le multimilliardaire Microsoft Bill Gates d’essayer de prendre le contrôle du système de santé mondial par l’introduction d’un vaccin pour contrôler le coronavirus, qu’il a probablement créé en premier lieu. Le sophisme de nombre de « conspirations » autour du virus tournent autour de l’idée d’un régime totalitaire ou d’un milliardaire fou utilisant une fausse maladie pour susciter la peur afin de contrôler les citoyens. Le problème est que cette théorie accorde beaucoup trop de crédit à la capacité d’un gouvernement ou d’un individu à monter une fraude de cette ampleur. Il faudrait des gens beaucoup plus intelligents que l’équipe de Trump-Pompeo ou même Gates pour convaincre le monde et des milliers de médecins et de scientifiques qu’ils devraient boucler des pays entiers pour quelque chose de complètement faux.
Parmi les autres théories sur les coronavirus, citons celle qui veut que le virus a d’abord été développé aux États-Unis, qu’il a été ensuite exporté en Chine par un scientifique américain traître, qu’il a été utilisé comme arme à Wuhan et qu’il a ensuite été lâché sur l’Occident dans le cadre d’un complot communiste visant à détruire le capitalisme et la démocratie. Cela voudrait dire que nous sommes déjà en guerre avec la Chine, ou du moins que nous devrions l’être. Ensuite, il y a la théorie largement acceptée selon laquelle le virus a été créé à Wuhan et s’est échappé du laboratoire. Depuis lors, Pékin s’est engagé dans une opération de dissimulation en usant là aussi d’une rhétorique complotiste. C’est un thème favorisé par la Maison Blanche, qui n’a pas encore décidé de ce qu’il faut faire à part attribuer à la maladie de drôles de noms comme celui de « péril jaune » afin que tous ceux qui portent les casquettes « MAGA » aient de quoi rire à l’approche des élections de novembre.
Mais toutes blagues mises à part, il y a certaines théories du complot qui valent plus que d’autres la peine d’être prises en considération. L’une d’entre elles est le rôle de George Soros et des fondations dites « Open Society » qu’il contrôle et finance dans les troubles qui balayent les États-Unis. Il est vrai que les allégations contre Soros sont souvent peu probantes, mais les « conspirationnistes » soulignent que c’est justement la marque d’une conspiration vraiment bien planifiée, semblable à celle dans laquelle le milliardaire juif hongrois de 89 ans s’est engagé depuis longtemps. La série actuelle de revendications concernant l’Open Society et Soros a généré jusqu’à 500 000 tweets par jour ainsi que près de 70 000 messages Facebook par mois, principalement de la part de conservateurs politiques.
Les allégations ont tendance à se diviser en deux grandes catégories. Premièrement, Soros embauche des manifestants/fraudeurs et les transporte aux manifestations où ils reçoivent des briques et des incendiaires pour transformer les rassemblements en émeutes. Deuxièmement, l’Open Society finance et permet le flux déstabilisant d’immigrants illégaux aux États-Unis.
Soros et ses partisans, dont beaucoup sont juifs parce qu’ils pensent voir de l’antisémitisme dans les attaques contre le célèbre Hongrois, prétend soutenir la démocratisation et le libre-échange dans le monde entier. Il est, en effet, l’un des plus grands mondialistes. Soros prétend être une « force du bien », comme le veut le cliché, mais est-il tout à fait crédible que sa fondation de 32 milliards de dollars n’opère pas en coulisses pour influencer les développements d’une manière qui n’est certainement pas démocratique ?
En effet, Soros a accumulé son immense fortune grâce au capitalisme des vautours. Il a gagné plus d’un milliard de dollars en 1992 en vendant à découvert 10 milliards de dollars en livres sterling, ce qui a conduit les médias à le surnommer « l’homme qui a fait sauter la banque d’Angleterre ». Il a été accusé de manipulations monétaires similaires en Europe et en Asie. En 1999, l’économiste du New York Times Paul Krugman a écrit à son sujet que « Personne qui a lu un magazine d’affaires ces dernières années ne peut ignorer qu’il y a de nos jours des investisseurs qui non seulement déplacent de l’argent en prévision d’une crise monétaire, mais font en fait de leur mieux pour déclencher cette crise pour le plaisir et le profit ».
Loin d’être un spectateur passif donnant des conseils utiles aux groupes démocratiques, Soros a été fortement impliqué dans la restructuration des anciens régimes communistes en Europe de l’Est et a participé à la révolution dite des roses en Géorgie en 2003 et à la révolution de Maidan en Ukraine en 2014, toutes deux soutenues par le gouvernement américain et destinées à menacer la sécurité régionale de la Russie.
Soros déteste particulièrement le président Vladimir Poutine et la Russie. Il a révélé qu’il est loin d’être une figure bienveillante qui se bat pour la justice dans un article d’opinion du Financial Times en mars dernier intitulé « L’Europe doit soutenir la Turquie pour les crimes de guerre de Poutine en Syrie » (NDT : voir le dossier de Strategika a ce sujet. Strategika fût le premier site français à donner une analyse globale de cet article de George Soros).
L’éditorial est plein d’erreurs, il s’agit essentiellement d’un appel à l’agression contre une Russie qu’il décrit comme étant engagée dans le bombardement d’écoles et d’hôpitaux. Il commence par : « Depuis le début de son intervention en Syrie en septembre 2015, la Russie n’a pas seulement cherché à maintenir en place son plus fidèle allié arabe, le président syrien Bachar al-Assad. Elle a également voulu retrouver l’influence régionale et mondiale qu’elle a perdue depuis la chute de l’Union soviétique ». Tout d’abord, la Russie n’est pas « intervenue » en Syrie. Elle y a été invitée par le gouvernement légitime du pays pour apporter son aide contre divers groupes, dont certains étaient liés à Al-Qaïda et à l’État islamique, qui cherchaient à renverser le président al-Assad.
Et à part Soros, peu d’experts réels sur la Russie prétendent qu’elle cherche à recréer l' »influence » de l’Union soviétique. Moscou n’a pas les ressources nécessaires pour le faire et n’a manifesté aucun désir de poursuivre le genre de programme mondial qui était caractéristique de l’État soviétique.
Suit alors un envol complet en hyperbole où Soros explique que : « Vladimir Poutine a cherché à utiliser la tourmente au Moyen-Orient pour effacer les normes internationales et les progrès du droit humanitaire international réalisés depuis la seconde guerre mondiale. En fait, la création du désastre humanitaire qui a transformé près de 6 millions de Syriens en réfugiés n’a pas été un sous-produit de la stratégie du président russe en Syrie. C’était l’un de ses principaux objectifs ». Notez qu’aucune des affirmations de Soros n’est étayée par des faits.
L’éditorial de Soros contient également quelques souvenirs, décrivant comment « en 2014, j’ai exhorté l’Europe à se réveiller face à la menace que la Russie faisait peser sur ses intérêts stratégiques ». L’article révèle que Soros n’est ni conciliant ni « diplomatique », ce qui montre clairement qu’il choisit ses ennemis sur la base de considérations idéologiques qui déterminent également ses choix quant à la manière d’encadrer ses entreprises. Compte tenu de tout cela, pourquoi est-il inimaginable que George Soros soit engagé dans une conspiration, qu’il soit clandestinement derrière au moins une partie du chaos d' »Antifa » et de Black Lives Matter ainsi que du flot d’immigration illégale qui, ensemble, ont peut-être déstabilisé fatalement les États-Unis ?
Source : https://www.strategic-culture.org/news/2020/07/02/some-conspiracy-theories-are-for-real/ / traduction : strategika.fr