Le chinois Huawei va implanter une usine au milieu des unités de l’armée de Terre dédiées au renseignement
Source: opex360.com – Laurent Lagneau – 18 décembre 2020
Dans son livre « France-Chine, les liaisons dangereuses », le journaliste Antoine Izambard décrit l’intérêt suscité par les implantations de la défense française… en Bretagne. Et de citer une note confidentielle du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN] qui s’inquiétait de la hausse des mariages entre des militaires affectés en terre bretonne et de jeunes chinoises venues faire leurs études à de l’Université de Bretagne Occidentale [UBO] ou à l’École nationale supérieure de techniques avancées [ENSTA].
En outre, avait-il dit sur les ondes de France Inter, « quand, sur 30 doctorants d’un laboratoire de recherche d’une grande école d’ingénieurs bretonne, dix sont de Chine et tous issus de l’Institut de technologie de Harbin, administré par une agence gouvernementale qui conçoit et achète tous les systèmes d’armes de l’Armée populaire de libération, il y a de quoi se poser des questions. »
Mais la Bretagne, qui concentre par ailleurs les capacités en matière de cyberdéfense, n’est pas la seule région concernée. La localité de Rosnay, dans l’Indre, demeure probablement inconnue de bon nombre de Français. Et pourtant, elle accueille l’un des quatre Centres de transmissions [CTM] utilisés par la Marine nationale pour communiquer avec ses sous-marins. Et ses émetteurs à très basses fréquences [VLF], qui font partie des plus puissants au monde, semblent intéresser la Chine, comme l’avait souligné la députée Sereine Mauborgne, lors d’une audition de l’amiral Bernard-Antoine Morio de l’Isle, alors commandant des Forces sous-marines et de la Force océanique stratégique [ALFOST].
En effet, avait avancé la parlementaire, et sans verser dans la paranoïa, « certaines implantations à proximité du CTM peuvent être […] considérées localement comme troublantes », avec la présence d’une université chinoise dans la base militaire jouxtant l’aéroport de Châteauroux, qui devait alors être rejointe par un centre d’entraînement pour les Jeux olympiques. Et Mme Mauborgne avait également cité l’achat de terrains agricoles à proximité, voire en bordure du site de la Marine. « S’agissant de présence étrangère à proximité des CTM, je n’ai pas beaucoup de leviers disponibles mais, comme vous, je constate une implantation de plus en plus forte autour de mes centres », avait alors répondu l’amiral Morio de l’Isle.
Cela étant, et alors que les autorités françaises l’ont subtilement écarté des réseaux 5G en décourageant les opérateurs télécoms à utiliser ses matériels, l’équipementier chinois Huaweï, accusé d’avoir des liens avec le renseignement chinois, nourrit de grandes ambitions en France. Le 17 décembre, et après avoir inauguré son 6e centre de recherche en octobre dernier, dans le 7e arrondissement de Paris, l’industriel a fait part de son intention d’implanter une usine dédiée aux solutions technologiques de réseaux mobiles à Brumath [Bas-Rhin]. Sa première de ce type hors de Chine.
« Avec cette usine implantée au carrefour de l’Europe, Huawei vient enrichir sa présence sur le continent déjà forte de 23 centres de R&D, plus de 100 universités partenaires, plus de 3.100 fournisseurs et d’une chaîne d’approvisionnement performante », a fait valoir le groupe chinois, qui prévoit un investissement minimal de 200 millions d’euros et l’embauche, dans un premier temps, de 300 personnes.
« Après une évaluation technique, le Business Parc de Brumath a été retenu à la faveur de critères clés pour un tel projet industriel : l’emplacement, la superficie et l’extensibilité, le parc industriel et ses infrastructures, l’environnement alentour et la disponibilité foncière », a expliqué Huaweï.
Pour le président de la région Grand-Est, Jean Rottner, cette annonce est une « excellente nouvelle qui témoigne de la dynamique économique de notre territoire transfrontalier. »
Comme Rosnay, le nom de Brumath ne doit pas dire grand chose à beaucoup [sauf chez les Alsaciens]. Mais quand on sait que cette ville fait partie de la Communauté d’agglomération de Haguenau, alors, et sans donner, encore une fois, dans la paranoïa, on peut s’interroger. C’est d’ailleurs ce qu’a fait un lecteur de ce site, qui a tout de suite fait le rapprochement avec la présence d’unités relevant du Commandement du renseignement de l’armée de Terre.
En effet, le 2e Régiment de Hussards, spécialiste du renseignement d’origine humaine [ROHUM] a ses quartiers à Haguenau, de même que le 54e Régiment de Transmissions, dont la mission est de collecter du renseignement d’origine électromagnétique et de mener des actions de guerre électronique, ainsi que le 28e Groupe géographique qui, comme son nom le suggère, recueille et exploite l’information géographique. Et, à une quarantaine de kilomètres de là [par la route], à Mutzig, on trouve le 44e Régiment de Transmissions, également spécialiste de la guerre électronique et du renseignement électromagnétique, ainsi qu’un site de la DGSE.
Et Brumath n’est qu’à une petite vingtaine de minutes de route de Strasbourg, où est installé le Commandement du renseignement de l’armée de Terre. Mais pas seulement… puisqu’on y trouve aussi le Centre de formation interarmées au renseignement [CFIAR] de la Direction du renseignement militaire [DRM]. Mais ce dernier doit déménager à Creil d’ici l’été 2021, quand la construction des bâtiments qui doivent l’accueillir, avec l’Escadron de formation renseignement [EFR] de l’armée de l’Air & de l’Espace, sera achevée.
Mais Strasbourg accueille également Quartier général du Corps européen tandis que l’état-major de la 2e Brigade Blindée a pris ses quartiers à Illkirch-Graffenstaden.
Alors que l’on parle désormais de « déserts militaires » en France après les réformes conduites entre 2008 et 2015, il a donc fallu que Huawei choisisse l’un des secteurs qui concentre le plus d’unités militaires – qui plus est sensibles pour certaines – au kilomètre-carré. Tant mieux pour Brumath… Mais en raison de la réputation faite au groupe chinois et au regard de ce qui a été constaté en Bretagne et dans l’Indre, cela pose question.
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