État civil et fiducie

Source : lesakerfrancophone.fr – Valérie Bugault – 11 février 2021 https://lesakerfrancophone.fr/etat-civil-et-fiducie

Valérie Bugault est docteur en droit, analyste en géopolitique juridique, chercheuse indépendante.

Contextualisation historique du débat

Dans la lignée de mon dernier article intitulé « Gouvernement ou société commerciale », il apparaît nécessaire de revenir sur le concept de « fiducie », de façon à clarifier le débat qui tourne autour de ce que les canadiens appellent « la fraude au nom légal ».

Ce concept de « fiducie », connu du droit romain, est depuis toujours utilisé par le droit d’origine britannique, devenu droit anglo-saxon, sous la forme du « trust ».

Je ne m’étendrai pas sur la signification et sur les utilisations de ce concept dans la Rome antique car d’une part je ne suis pas spécialiste d’histoire du droit, et d’autre part cela nous mènerait trop loin par rapport à notre sujet.

Il faut, dès le départ, rappeler que le droit continental traditionnel – dit droit écrit – comme le droit britannique – dit droit coutumier – (une fois encore, il faudrait dans un cas comme dans l’autre, pour le moins modérer ces assertions), ont tous les deux des racines issues du droit romain.

Rappelons aussi que le droit romain a lui-même des racines dans la Grèce antique, qui est la mère de ce que nous avons appelé « civilisation occidentale ». Il est ainsi établi, sans contestation possible, que les évolutions en termes d’organisation sociale et de concepts juridiques sont ancrées dans l’histoire, elles ne sortent pas de nulle part mais sont le fruit, plus ou moins sain, d’une longue évolution.

Le droit continental traditionnel, dont étaient porteurs les pays dits de droit écrit, la France en premier lieu, ne tire pas ses racines du seul droit romain mais aussi, pour une très large part, du droit canon.

C’est à partir de là que les conceptions britannique et continentale du droit ont divergé de façon radicale, profonde et irréconciliable. Car, pour des raisons personnelles bien plus que politiques à strictement parler, le Roi Henri VIII a rompu, en 1531, le lien qui reliait l’Angleterre avec la papauté afin d’établir son propre principe spirituel, entièrement soumis à sa volonté exclusive ; c’est-à-dire que le pouvoir spirituel anglais n’avait plus de spirituel que le nom, puisque dans les faits, il était définitivement soumis au pouvoir temporel du Roi. La conséquence la plus grave de cette rupture fût que le droit britannique fut désormais exclusivement à la discrétion du pouvoir temporel, à l’époque détenu par le Roi.

A l’opposé, sur le continent européen, les pouvoirs spirituel, représenté par la papauté, et temporels représentés par les Rois et par l’aristocratie, étaient en concurrence. Pour dire les choses autrement, les deux pouvoirs, spirituel et temporel, agissaient comme des contre-pouvoirs l’un sur l’autre en matière d’édiction des lois. Il en est résulté un équilibre du pouvoir d’édicter les lois, équilibre dominé par la notion de « droit naturel » dégagé au fil du temps par les théoriciens du droit canon.

Ainsi cette rupture méthodologique du droit a engendré, dès 1531, une rupture radicale entre les conceptions britannique et d’Europe continentale quant aux fondements civilisationnels du droit. Chacun sait qu’un pouvoir sans contre-pouvoir devient très vite arbitraire, ou, à tout le moins (pour dire les choses autrement), que son caractère discrétionnaire lui donne tous les attributs de l’arbitraire.

Pour reprendre notre séquence historique, il faut rappeler que si 1531 est une date très importante dans l’évolution du droit britannique, la tendance qui a consacré la direction prise par ce droit fut déclenchée par la séquence historique débutée par le règne d’Oliver Cromwell. Les visées impériales de Cromwell ont engendré, par l’alliance qu’il avait conclu avec la haute finance, la suprématie du pouvoir économique et monétaire sur le pouvoir politique – car « la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit » – en raison du fait que Cromwell avait financé ses visées hégémoniques en s’appuyant sur le pouvoir de la haute finance.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’origine hollandaise de cette haute finance était elle-même le fruit d’une alliance entre les banquiers ayant fui l’Espagne sous le règne de la Reine Isabelle et les banquiers vénitiens eux-mêmes réfugiés en Hollande au temps de la splendeur de la Ligue hanséatique et du déclin corrélatif de l’empire thalassocratique de Venise. Pour résumer, les velléités hégémoniques de la thalassocratie vénitienne ont été, en quelques sortes, transférées en Angleterre sous le règne d’Oliver Cromwell.

Pour revenir aux évolutions du pouvoir en Angleterre, à partir du règne de Cromwell, le pouvoir temporel s’est, peu à peu, transféré dans les mains du pouvoir économique détenu par les grands banquiers, principaux financiers de la Compagnie des Indes et principaux acteurs de l’empire britannique en développement.

Pendant ce temps, rien de tel ne se passe sur le continent européen où, tout au contraire, le droit reste le résultat d’un équilibre des forces entre le Roi, l’aristocratie et la papauté. Aucune suprématie juridique sur le continent européen où le droit reste un droit au service des populations.

Au moment où, en Angleterre, le droit est confisqué au profit des puissances financières qui se sont développées sur le fondement de la double hélice du pouvoir maritime et commercial, en Europe continentale, le droit, résultat d’un équilibre entre des forces opposées, reste majoritairement au service des populations.

On ne peut rien comprendre à la différence fondamentale entre le droit britannique – devenu droit anglo-saxon par l’hégémonie de l’empire britannique transféré dans l’empire américain – et le droit continental si l’on ne prend pas en compte les conditions historiques de leurs évolutions respectives. Alors que le droit anglo-saxon est entièrement compris et fondé, suite aux séquences historiques que nous avons détaillé, sur la suprématie maritime et commerciale, le droit européen est tout au contraire fondé sur un droit commun de nature civile.

La fiducie en droit français

Depuis l’avènement du Code civil de 1804 – fruit d’un travail de fusion, de synthèse et de conceptualisation des différentes codifications régionales du droit – le droit français ne connaissait pas la notion de fiducie. L’organisation des patrimoines s’était faite, en droit français, en dehors du concept de fiducie. Nous avions un régime relatif au droit des sûretés très opérationnel et qui se passait parfaitement du concept de fiducie. De la même façon, les transmissions de patrimoines étaient parfaitement organisées en dehors du concept de fiducie. Il en allait de même de la gestion des patrimoines, laquelle se passait de tiers, qui était très opérationnelle et surtout très transparente au regard des droits et responsabilités du titulaire désigné et identifié du patrimoine.

Aussi bien, la notion de fiducie n’était officiellement pas reconnue en droit français.

A partir de la fin de la décennie 2000, et sous couvert de lutte – très hypocrite – contre les paradis fiscaux, s’est opérée, au niveau mondial, une violente prise de contrôle de tous les paradis fiscaux par les dominants économiques anglo-saxons.

Cette prise de pouvoir mondial des capitaux évadés par le système juridique anglo-saxon avait été préparée de longue date par l’internationalisation des techniques juridiques de circulation des capitaux, dont l’intrusion de la fiducie en droit français fait évidemment partie. Elle a pris la forme de la disparition des paradis fiscaux à comptes numérotés, qui étaient des corsaires juridiques sous contrôle de certains États, au profit des paradis hébergeant des trusts anonymes, lesquels sont juridiquement contrôlés par les dominants économiques. L’opération, très machiavélique, a permis in fine d’évincer la puissance financière des États (qui profitaient des capitaux évadés) au profit du renforcement de la puissance des dominants économiques apatrides.

Mais pour que cette opération soit complète, c’est-à-dire permette effectivement la libre circulation des capitaux sous droit anglo-saxon partout sur la planète, il fallait, de façon impérative, que tous les États accueillent, acceptent, le concept de trust, c’est-à-dire de fiducie.

Or, tel n’était pas le cas du droit français qui, en digne héritier du droit continental, avait toujours préféré la gestion patrimoniale directe et transparente à la gestion patrimoniale faisant intervenir des tiers. Il était donc impératif, pour les dominants anglo-saxons, de faire « évoluer le droit français » de telle sorte que ce dernier puisse accepter les montages juridiques faisant intervenir des trusts. Une énorme pression fut ainsi mise sur les élus de la République afin de faire passer, en droit français (qui n’en avait pas besoin) le concept de fiducie.

Après plusieurs tentatives infructueuses – saluons au passage les résistances d’alors – ce fut chose faite, en février 2007, par les bons soins du sénateur Philippe Marini. En aparté, je précise qu’en 2011, alors que j’étais à l’UPR, j’avais rédigé un article mettant expressément en cause cette brutale intervention du sénateur Marini qui, avec son projet de loi scélérat, imposait en réalité la financiarisation de l’économie française et sa soumission au droit anglo-saxon de nature commercialiste.

Cette initiative scélérate, portée par Philippe Marini, venait directement d’une allocution prononcée à l’université McGill au Canada, territoire transformé de longue date en terrain de jeu du droit anglo-saxon, c’est-à-dire en colonie juridique britannique. Elle était évidemment soutenue (et préparée) en interne par tous les partisans, universitaires et praticiens confondus, du globalisme juridique et financier, tous impliqués dans la trahison juridique et politique de la nation et de l’intérêt collectif.

Du point de vue technique, l’introduction de la fiducie en droit français s’inscrit dans la stratégie consistant à uniformiser les deux types de droit (continental et britannique) en transformant le droit commun continental, par essence et par nature civil, en droit commercial, par le biais du concept de « propriété économique ».

Fiducie : analyse technique

La fiducie est un concept qui relève de la gestion patrimoniale, et qui, à ce titre, n’a pas de rapport direct avec l’état civil des personnes. Nous sommes, avec la fiducie, dans les domaines du droit patrimonial de la famille et du droit des affaires, pas dans l’identification des individus stricto sensu.

La définition donnée à la fiducie par la loi – superfétatoire et scélérate – de 2007 est la suivante : « La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires » (article 2011 nouveau du Code civil – code civil dénaturé…).

Donc, la fiducie est :

  • Une « opération » : c’est-à-dire pas, comme l’état civil, la seule transcription sur un registre d’une réalité physique (naissance, décès, mariage, divorce) mais un montage juridique nécessitant un ou plusieurs actes positifs ;
  • Une opération de « transfert » – d’un patrimoine privé à un patrimoine d’affectation géré par un tiers – de « biens, droits ou sûretés présents et futurs » : la référence au « transfert de droits » est évidemment liée à des droits immatériels détenus sur des actifs mobiliers incorporels, droit de propriété, usufruit, droit de vote… et non d’une façon générique à des droits prétendus qui seraient dus dès la naissance par l’inscription d’un enfant sur l’état civil. Si l’inscription à l’état civil génère des droits en fonction de la législation en vigueur, telle n’est pas son objectif premier.

L’objectif de l’inscription à l’état civil est, répétons-le, d’acter un évènement important survenant dans la Société, comme l’arrivée ou le départ d’un nouveau membre… Ce qui permet, ensuite, de bâtir une communauté autour de principes de droit, à définir par ladite communauté. Ces principes de droit n’ont pas à être définis en fonction de l’intérêt privatif d’une petite caste comportant un nombre insignifiant de personnes mais par la collectivité, c’est-à-dire par l’ensemble des membres faisant Société. Autrement dit, en droit civil bien compris, tous les intérêts sociaux et collectifs doivent être pris en compte par le système juridique. A l’inverse, lorsque le système juridique est confisqué, privatisé, par les financiers (droit anglo-saxon), seuls l’intérêt bien compris de ces quelques financiers est reflété par le « droit », qui devient de la réglementation, simple arme de destruction massive de la collectivité politique.

A cet égard, si le rapport législatif de la proposition de loi instituant la fiducie fait effectivement mention de prétendus précédents de fiducie innommée dans notre droit interne – et la recherche dut en être laborieuse – il s’agit uniquement de techniques de « transmission, gestion et garantie » afférentes à un patrimoine, avec un développement particulièrement important en matière de droit bancaire et financier qui s’est développé à compter des années 1980 (dans le cadre de la « liberté de circulation globale et heureuse des capitaux », développés par les tenanciers économiques !), à savoir :

  • La vente à réméré (articles 1659 et s. du Code civil)
  • La cession de créances commerciales à titre de garantie par bordereau Dailly
  • Le prêt ou la prise en pension de titres financiers
  • La remise d’instruments financiers, effets, créances ou sommes d’argent dans le cadre de systèmes de règlements interbancaires
  • Les mécanismes de compensation de créances

Ainsi, toutes les « fiducies » innommées, prétendument préexistantes, dans notre droit viennent de mécanismes de gestion de patrimoine civil, commercial et surtout du monde de la finance, en développement exponentiel depuis que les dominants financiers ont décidés de libéraliser dans le monde entier la circulation des capitaux…

C’est ainsi que des mécanismes de droit interne en quasi-désuétude, telle que l’était par exemple la « vente à réméré », se sont vus développer une nouvelle jeunesse par l’intervention de la finance en tant qu’excroissance du droit. Cette finance apatride a nécessité, pour pouvoir exister et prospérer, de développer des mécanismes juridiques similaires dans tous les pays du monde.

Ces mécanismes sont nés dans le monde bancaire et financier anglo-saxon, ils se sont ensuite répandus, comme une traînée de poudre, à la faveur de l’installation intrusive (dès la fin de la décennie 1980) – sur le mode invasion – sur le continent européen en général et en France en particulier, des « Big Five », devenus « Fat Four », lesquels ont réinventé le droit interne français pour le rendre compatible avec le droit des affaires anglo-saxon.

Il en résulte qu’alléguer que l’état civil serait une fiducie n’a, du point de vue du droit continental traditionnel en général et du droit français en particulier, aucun sens.

Il est en revanche loisible de constater qu’en droit anglo-saxon, la nuance entre d’une part l’individu et d’autre part son patrimoine est loin d’être aussi claire que ce qu’elle était en droit civil traditionnel.

La raison de ce hiatus de compréhension de la « chose juridique » est que nous sommes – répétons-le à satiété – en présence de deux conceptions du monde différentes :

  • Le droit continental, en tant que droit commun de nature civile, est entièrement tourné autour du respect de la personne et à pour objet d’organiser le plus sereinement possible la vie en commun ;
  • Le droit anglo-saxon, de nature commercialo-maritime, est une arme dans les mains des puissances financières pour asservir l’humanité, c’est-à-dire les populations civiles.

Conclusion

En conclusion, nous invitons tous ceux qui se plaignent de leur asservissement économique à venir nous rejoindre pour redonner vie au droit continental traditionnel et au droit commun entendu au sens civiliste du terme. Il s’agit ni plus ni moins que de mettre un terme à l’hégémonie juridique du droit anglo-saxon utilisé comme une arme de destruction des peuples par les tenanciers économiques de la City of London.

La géopolitique fut, un temps, conçue comme l’étude des stratégies d’approche, d’attaque et de défense militaire d’un État vis-à-vis d’un ou de plusieurs autres. Cette notion a évolué – sans d’ailleurs que les analystes en soient toujours clairement conscients – en se reportant sur le terrain économique, compris comme un combat monétaro-capitalistique.

Nous arrivons aujourd’hui, en dernier lieu, à l’essence de la géopolitique, qui est d’ordre juridique. Car l’économie a été utilisée, comme le droit anglo-saxon lui-même, par les tenanciers économiques pour imposer leur hégémonie prédatrice sur toute la surface du globe.

En conséquence, les peuples, pour se réapproprier leur indépendance individuelle et collective, doivent comprendre que le droit est le moyen essentiel qui véhicule une culture, une conception du monde et de la vie en commun. Les peuples d’Europe ne doivent en aucun cas renoncer à leur culture juridique du droit civil en tant que droit commun. Ils doivent se battre pour réinitialiser leur droit civil, lui-même développé autour du droit naturel.

Valérie Bugault

alérie

Contextualisation historique du débat

Dans la lignée de mon dernier article intitulé « Gouvernement ou société commerciale », il apparaît nécessaire de revenir sur le concept de « fiducie », de façon à clarifier le débat qui tourne autour de ce que les canadiens appellent « la fraude au nom légal ».

Ce concept de « fiducie », connu du droit romain, est depuis toujours utilisé par le droit d’origine britannique, devenu droit anglo-saxon, sous la forme du « trust ».

Je ne m’étendrai pas sur la signification et sur les utilisations de ce concept dans la Rome antique car d’une part je ne suis pas spécialiste d’histoire du droit, et d’autre part cela nous mènerait trop loin par rapport à notre sujet.

Il faut, dès le départ, rappeler que le droit continental traditionnel – dit droit écrit – comme le droit britannique – dit droit coutumier – (une fois encore, il faudrait dans un cas comme dans l’autre, pour le moins modérer ces assertions), ont tous les deux des racines issues du droit romain.

Rappelons aussi que le droit romain a lui-même des racines dans la Grèce antique, qui est la mère de ce que nous avons appelé « civilisation occidentale ». Il est ainsi établi, sans contestation possible, que les évolutions en termes d’organisation sociale et de concepts juridiques sont ancrées dans l’histoire, elles ne sortent pas de nulle part mais sont le fruit, plus ou moins sain, d’une longue évolution.

Le droit continental traditionnel, dont étaient porteurs les pays dits de droit écrit, la France en premier lieu, ne tire pas ses racines du seul droit romain mais aussi, pour une très large part, du droit canon.

C’est à partir de là que les conceptions britannique et continentale du droit ont divergé de façon radicale, profonde et irréconciliable. Car, pour des raisons personnelles bien plus que politiques à strictement parler, le Roi Henri VIII a rompu, en 1531, le lien qui reliait l’Angleterre avec la papauté afin d’établir son propre principe spirituel, entièrement soumis à sa volonté exclusive ; c’est-à-dire que le pouvoir spirituel anglais n’avait plus de spirituel que le nom, puisque dans les faits, il était définitivement soumis au pouvoir temporel du Roi. La conséquence la plus grave de cette rupture fût que le droit britannique fut désormais exclusivement à la discrétion du pouvoir temporel, à l’époque détenu par le Roi.

A l’opposé, sur le continent européen, les pouvoirs spirituel, représenté par la papauté, et temporels représentés par les Rois et par l’aristocratie, étaient en concurrence. Pour dire les choses autrement, les deux pouvoirs, spirituel et temporel, agissaient comme des contre-pouvoirs l’un sur l’autre en matière d’édiction des lois. Il en est résulté un équilibre du pouvoir d’édicter les lois, équilibre dominé par la notion de « droit naturel » dégagé au fil du temps par les théoriciens du droit canon.

Ainsi cette rupture méthodologique du droit a engendré, dès 1531, une rupture radicale entre les conceptions britannique et d’Europe continentale quant aux fondements civilisationnels du droit. Chacun sait qu’un pouvoir sans contre-pouvoir devient très vite arbitraire, ou, à tout le moins (pour dire les choses autrement), que son caractère discrétionnaire lui donne tous les attributs de l’arbitraire.

Pour reprendre notre séquence historique, il faut rappeler que si 1531 est une date très importante dans l’évolution du droit britannique, la tendance qui a consacré la direction prise par ce droit fut déclenchée par la séquence historique débutée par le règne d’Oliver Cromwell. Les visées impériales de Cromwell ont engendré, par l’alliance qu’il avait conclu avec la haute finance, la suprématie du pouvoir économique et monétaire sur le pouvoir politique – car « la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit » – en raison du fait que Cromwell avait financé ses visées hégémoniques en s’appuyant sur le pouvoir de la haute finance.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’origine hollandaise de cette haute finance était elle-même le fruit d’une alliance entre les banquiers ayant fui l’Espagne sous le règne de la Reine Isabelle et les banquiers vénitiens eux-mêmes réfugiés en Hollande au temps de la splendeur de la Ligue hanséatique et du déclin corrélatif de l’empire thalassocratique de Venise. Pour résumer, les velléités hégémoniques de la thalassocratie vénitienne ont été, en quelques sortes, transférées en Angleterre sous le règne d’Oliver Cromwell.

Pour revenir aux évolutions du pouvoir en Angleterre, à partir du règne de Cromwell, le pouvoir temporel s’est, peu à peu, transféré dans les mains du pouvoir économique détenu par les grands banquiers, principaux financiers de la Compagnie des Indes et principaux acteurs de l’empire britannique en développement.

Pendant ce temps, rien de tel ne se passe sur le continent européen où, tout au contraire, le droit reste le résultat d’un équilibre des forces entre le Roi, l’aristocratie et la papauté. Aucune suprématie juridique sur le continent européen où le droit reste un droit au service des populations.

Au moment où, en Angleterre, le droit est confisqué au profit des puissances financières qui se sont développées sur le fondement de la double hélice du pouvoir maritime et commercial, en Europe continentale, le droit, résultat d’un équilibre entre des forces opposées, reste majoritairement au service des populations.

On ne peut rien comprendre à la différence fondamentale entre le droit britannique – devenu droit anglo-saxon par l’hégémonie de l’empire britannique transféré dans l’empire américain – et le droit continental si l’on ne prend pas en compte les conditions historiques de leurs évolutions respectives. Alors que le droit anglo-saxon est entièrement compris et fondé, suite aux séquences historiques que nous avons détaillé, sur la suprématie maritime et commerciale, le droit européen est tout au contraire fondé sur un droit commun de nature civile.

La fiducie en droit français

Depuis l’avènement du Code civil de 1804 – fruit d’un travail de fusion, de synthèse et de conceptualisation des différentes codifications régionales du droit – le droit français ne connaissait pas la notion de fiducie. L’organisation des patrimoines s’était faite, en droit français, en dehors du concept de fiducie. Nous avions un régime relatif au droit des sûretés très opérationnel et qui se passait parfaitement du concept de fiducie. De la même façon, les transmissions de patrimoines étaient parfaitement organisées en dehors du concept de fiducie. Il en allait de même de la gestion des patrimoines, laquelle se passait de tiers, qui était très opérationnelle et surtout très transparente au regard des droits et responsabilités du titulaire désigné et identifié du patrimoine.

Aussi bien, la notion de fiducie n’était officiellement pas reconnue en droit français.

A partir de la fin de la décennie 2000, et sous couvert de lutte – très hypocrite – contre les paradis fiscaux, s’est opérée, au niveau mondial, une violente prise de contrôle de tous les paradis fiscaux par les dominants économiques anglo-saxons.

Cette prise de pouvoir mondial des capitaux évadés par le système juridique anglo-saxon avait été préparée de longue date par l’internationalisation des techniques juridiques de circulation des capitaux, dont l’intrusion de la fiducie en droit français fait évidemment partie. Elle a pris la forme de la disparition des paradis fiscaux à comptes numérotés, qui étaient des corsaires juridiques sous contrôle de certains États, au profit des paradis hébergeant des trusts anonymes, lesquels sont juridiquement contrôlés par les dominants économiques. L’opération, très machiavélique, a permis in fine d’évincer la puissance financière des États (qui profitaient des capitaux évadés) au profit du renforcement de la puissance des dominants économiques apatrides.

Mais pour que cette opération soit complète, c’est-à-dire permette effectivement la libre circulation des capitaux sous droit anglo-saxon partout sur la planète, il fallait, de façon impérative, que tous les États accueillent, acceptent, le concept de trust, c’est-à-dire de fiducie.

Or, tel n’était pas le cas du droit français qui, en digne héritier du droit continental, avait toujours préféré la gestion patrimoniale directe et transparente à la gestion patrimoniale faisant intervenir des tiers. Il était donc impératif, pour les dominants anglo-saxons, de faire « évoluer le droit français » de telle sorte que ce dernier puisse accepter les montages juridiques faisant intervenir des trusts. Une énorme pression fut ainsi mise sur les élus de la République afin de faire passer, en droit français (qui n’en avait pas besoin) le concept de fiducie.

Après plusieurs tentatives infructueuses – saluons au passage les résistances d’alors – ce fut chose faite, en février 2007, par les bons soins du sénateur Philippe Marini. En aparté, je précise qu’en 2011, alors que j’étais à l’UPR, j’avais rédigé un article mettant expressément en cause cette brutale intervention du sénateur Marini qui, avec son projet de loi scélérat, imposait en réalité la financiarisation de l’économie française et sa soumission au droit anglo-saxon de nature commercialiste.

Cette initiative scélérate, portée par Philippe Marini, venait directement d’une allocution prononcée à l’université McGill au Canada, territoire transformé de longue date en terrain de jeu du droit anglo-saxon, c’est-à-dire en colonie juridique britannique. Elle était évidemment soutenue (et préparée) en interne par tous les partisans, universitaires et praticiens confondus, du globalisme juridique et financier, tous impliqués dans la trahison juridique et politique de la nation et de l’intérêt collectif.

Du point de vue technique, l’introduction de la fiducie en droit français s’inscrit dans la stratégie consistant à uniformiser les deux types de droit (continental et britannique) en transformant le droit commun continental, par essence et par nature civil, en droit commercial, par le biais du concept de « propriété économique ».

Fiducie : analyse technique

La fiducie est un concept qui relève de la gestion patrimoniale, et qui, à ce titre, n’a pas de rapport direct avec l’état civil des personnes. Nous sommes, avec la fiducie, dans les domaines du droit patrimonial de la famille et du droit des affaires, pas dans l’identification des individus stricto sensu.

La définition donnée à la fiducie par la loi – superfétatoire et scélérate – de 2007 est la suivante : « La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires » (article 2011 nouveau du Code civil – code civil dénaturé…).

Donc, la fiducie est :

  • Une « opération » : c’est-à-dire pas, comme l’état civil, la seule transcription sur un registre d’une réalité physique (naissance, décès, mariage, divorce) mais un montage juridique nécessitant un ou plusieurs actes positifs ;
  • Une opération de « transfert » – d’un patrimoine privé à un patrimoine d’affectation géré par un tiers – de « biens, droits ou sûretés présents et futurs » : la référence au « transfert de droits » est évidemment liée à des droits immatériels détenus sur des actifs mobiliers incorporels, droit de propriété, usufruit, droit de vote… et non d’une façon générique à des droits prétendus qui seraient dus dès la naissance par l’inscription d’un enfant sur l’état civil. Si l’inscription à l’état civil génère des droits en fonction de la législation en vigueur, telle n’est pas son objectif premier.

L’objectif de l’inscription à l’état civil est, répétons-le, d’acter un évènement important survenant dans la Société, comme l’arrivée ou le départ d’un nouveau membre… Ce qui permet, ensuite, de bâtir une communauté autour de principes de droit, à définir par ladite communauté. Ces principes de droit n’ont pas à être définis en fonction de l’intérêt privatif d’une petite caste comportant un nombre insignifiant de personnes mais par la collectivité, c’est-à-dire par l’ensemble des membres faisant Société. Autrement dit, en droit civil bien compris, tous les intérêts sociaux et collectifs doivent être pris en compte par le système juridique. A l’inverse, lorsque le système juridique est confisqué, privatisé, par les financiers (droit anglo-saxon), seuls l’intérêt bien compris de ces quelques financiers est reflété par le « droit », qui devient de la réglementation, simple arme de destruction massive de la collectivité politique.

A cet égard, si le rapport législatif de la proposition de loi instituant la fiducie fait effectivement mention de prétendus précédents de fiducie innommée dans notre droit interne – et la recherche dut en être laborieuse – il s’agit uniquement de techniques de « transmission, gestion et garantie » afférentes à un patrimoine, avec un développement particulièrement important en matière de droit bancaire et financier qui s’est développé à compter des années 1980 (dans le cadre de la « liberté de circulation globale et heureuse des capitaux », développés par les tenanciers économiques !), à savoir :

  • La vente à réméré (articles 1659 et s. du Code civil)
  • La cession de créances commerciales à titre de garantie par bordereau Dailly
  • Le prêt ou la prise en pension de titres financiers
  • La remise d’instruments financiers, effets, créances ou sommes d’argent dans le cadre de systèmes de règlements interbancaires
  • Les mécanismes de compensation de créances

Ainsi, toutes les « fiducies » innommées, prétendument préexistantes, dans notre droit viennent de mécanismes de gestion de patrimoine civil, commercial et surtout du monde de la finance, en développement exponentiel depuis que les dominants financiers ont décidés de libéraliser dans le monde entier la circulation des capitaux…

C’est ainsi que des mécanismes de droit interne en quasi-désuétude, telle que l’était par exemple la « vente à réméré », se sont vus développer une nouvelle jeunesse par l’intervention de la finance en tant qu’excroissance du droit. Cette finance apatride a nécessité, pour pouvoir exister et prospérer, de développer des mécanismes juridiques similaires dans tous les pays du monde.

Ces mécanismes sont nés dans le monde bancaire et financier anglo-saxon, ils se sont ensuite répandus, comme une traînée de poudre, à la faveur de l’installation intrusive (dès la fin de la décennie 1980) – sur le mode invasion – sur le continent européen en général et en France en particulier, des « Big Five », devenus « Fat Four », lesquels ont réinventé le droit interne français pour le rendre compatible avec le droit des affaires anglo-saxon.

Il en résulte qu’alléguer que l’état civil serait une fiducie n’a, du point de vue du droit continental traditionnel en général et du droit français en particulier, aucun sens.

Il est en revanche loisible de constater qu’en droit anglo-saxon, la nuance entre d’une part l’individu et d’autre part son patrimoine est loin d’être aussi claire que ce qu’elle était en droit civil traditionnel.

La raison de ce hiatus de compréhension de la « chose juridique » est que nous sommes – répétons-le à satiété – en présence de deux conceptions du monde différentes :

  • Le droit continental, en tant que droit commun de nature civile, est entièrement tourné autour du respect de la personne et à pour objet d’organiser le plus sereinement possible la vie en commun ;
  • Le droit anglo-saxon, de nature commercialo-maritime, est une arme dans les mains des puissances financières pour asservir l’humanité, c’est-à-dire les populations civiles.

Conclusion

En conclusion, nous invitons tous ceux qui se plaignent de leur asservissement économique à venir nous rejoindre pour redonner vie au droit continental traditionnel et au droit commun entendu au sens civiliste du terme. Il s’agit ni plus ni moins que de mettre un terme à l’hégémonie juridique du droit anglo-saxon utilisé comme une arme de destruction des peuples par les tenanciers économiques de la City of London.

La géopolitique fut, un temps, conçue comme l’étude des stratégies d’approche, d’attaque et de défense militaire d’un État vis-à-vis d’un ou de plusieurs autres. Cette notion a évolué – sans d’ailleurs que les analystes en soient toujours clairement conscients – en se reportant sur le terrain économique, compris comme un combat monétaro-capitalistique.

Nous arrivons aujourd’hui, en dernier lieu, à l’essence de la géopolitique, qui est d’ordre juridique. Car l’économie a été utilisée, comme le droit anglo-saxon lui-même, par les tenanciers économiques pour imposer leur hégémonie prédatrice sur toute la surface du globe.

En conséquence, les peuples, pour se réapproprier leur indépendance individuelle et collective, doivent comprendre que le droit est le moyen essentiel qui véhicule une culture, une conception du monde et de la vie en commun. Les peuples d’Europe ne doivent en aucun cas renoncer à leur culture juridique du droit civil en tant que droit commun. Ils doivent se battre pour réinitialiser leur droit civil, lui-même développé autour du droit naturel.

Valérie Bugault

Une pensée sur “État civil et fiducie

  • 23 février 2021 à 10 h 39 min
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    « Il est ainsi établi, sans contestation possible, dit Valérie Bugault, que les évolutions en termes d’organisation sociale et de concepts juridiques sont ancrées dans l’histoire, elles ne sortent pas de nulle part mais sont le fruit, plus ou moins sain, d’une longue évolution. »
    À ce sujet, la première chose importante à savoir est que deux morales ont régné sur la terre.
    L’une faite par la femme, au début de l’évolution humaine, bien loin dans le passé, l’autre faite par l’homme, plus tard ; car, tour à tour, la femme et l’homme ont dominé.
    Procédons maintenant à une chronologie, légèrement triviale, allant du début de « l’âge sombre » jusqu’à nos jours (plus de détail dans le lien).
    Remarquons que cette période coïncide avec le début de l’histoire, c’est-à-dire le règne de l’homme.
    En voici le résumé :
    On représenta par les deux serpents du caducée les deux aspects du pouvoir de l’homme : le Roi, le Prêtre. Ensemble, mêlant la force à la ruse, ils vont torturer l’humanité.
    Le caducée est un des attributs du dieu Hermès. Précisons que « Hermès », est le nom générique des prêtres égyptiens qui sont venus, dans le cours des siècles, jeter le voile du mystère sur toutes les antiques vérités. C’est ainsi que le mot « révélation » qui est le mot consacré par les religions, a une signification contraire à celle qu’on suppose : il veut dire « re-voiler » et n’a été employé que par les « Hermès » qui ont caché la science, qui l’ont voilée, puis re-voilée sous de nouveaux symboles, et c’est alors qu’ils l’ont imposée au peuple. Le mot propre, que nous devrions employer, est « dévoiler ».
    Pour imiter la Déesse Hygie, « Hermès » prétendra guérir, et le caducée sera le symbole de sa médecine, celle qui tue, à l’instar de celle du « lobby pharmaceutique » actuel : votre mauvaise santé est la garantie de ses profits.
    « Hermès » représente aussi l’argent, les transactions commerciales ; il fait de la science un commerce, du temple un marché. Il est le Dieu des voleurs en attendant Mercure qui l’imitera ; aussi, fait de la religion une affaire et, en même temps, un privilège qu’il veut garder pour lui et ceux qui le soutiennent.
    « Hermès » a changé plusieurs fois de nom, de religion, passant du dogme à la doctrine, de l’idéologie au système, mais, opportuniste et rusé, « Il » est toujours là aujourd’hui, et ses « réseaux » sont puissants, notamment depuis les « Lumières ».
    Il y a quelques années, un terme économique était explicite quant à son aspect qui allait s’avérer néfaste pour l’humanité. Il s’agissait du « serpent monétaire », dispositif économique qui a permis d’aboutir à l’abomination de la désolation, économique, sociale et morale, actuelle… avec l’aide du Dollar évidemment.
    Faisons remarquer que le sigle du Dollar n’est pas un « D » mais un « S » ; ce « S » est barré de deux traits verticaux : n’y aurait-il pas là une allusion à peine voilée aux colonnes du fameux Temple de « S », celui du veau d’or, et à ses non moins fameux « marchands » ?
    Egypte, Hébreux, Grèce antique, Rome, Invasion romaine, … Aujourd’hui :
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/

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