Le repositionnement thérapeutique des médicaments génériques, une stratégie radicale innovante pour une souveraineté sanitaire Africaine
Par le Dr ACHACHI Amine, Docteur en ingénierie biologique,Expert/Consultant scientifique en recherche et développement clinique, diplômé de la faculté des sciences de Gembloux, Université de Liège, Belgique.
“Tout le monde peut innover, si sa vie en dépend.” (Akio MORITA)
Lorsque l’on évoque le concept stratégique salvateur de souveraineté thérapeutique africaine, le spectre mortifère du retard technologique et scientifique accumulé par le continent depuis des décennies, conjugué à la fuite continuelle des cerveaux vers l’Occident qui en découle, s’impose immédiatement à l’esprit critique comme un horizon indépassable.
Cependant, selon les statistiques récents des nations unis, avec une moyenne d’âge de 19 ans, le continent africain va voir sa population s’accroître d’un milliard d’individus à l’horizon 2050. Au vu du bouleversement démographique que va connaître le continent le plus jeune au monde durant les prochaines décennies, les défis titanesques que vont devoir relever les sociétés africaines pour assurer le devenir de leur population, ne peuvent en aucune manière laisser place à une résignation désespérée.
“ Celui qui veut faire quelque chose trouve un moyen. Celui qui ne veut rien faire trouve une excuse.” (Proverbe Arabe)
La jeunesse africaine, représentant la principale source de vitalité à disposition, bien plus que de moyens financiers, scientifiques ou technologiques, c’est d’une volonté souveraine d’entreprendre dont le continent africain a le plus besoin pour faire face aux enjeux colossaux à venir.
C’est dans cette optique que l’adoption à l’échelle continentale d’une stratégie de repositionnement thérapeutique des médicaments génériques en vue de l’acquisition d’une souveraineté sanitaire Africaine prend tout son sens.
Les médicaments génériques, des molécules à l’efficacité éprouvée, libres de droits à la propriété intellectuelle, permettant de conquérir une indépendance pharmaceutique
Plus de soixante ans après leurs accès à l’indépendance et malgré une croissance économique soutenue, les pays africains font face à une situation sanitaire extrêmement préoccupante, avec comme première cause l’impossibilité des plus démunis d’avoir un accès régulier aux traitements thérapeutiques appropriés à des prix abordables.
Bien que le continent africain concentre actuellement plus de 13 % de la population mondiale, sa production pharmaceutique représente quant à elle moins de 3 % de la production mondiale. De ce fait, l’Afrique, qui en moyenne doit importer à prix d’or plus de 95 % des médicaments qu’il consomme, voit la prise en charge thérapeutique de sa population être l’otage de grandes firmes pharmaceutiques, généralement des multinationales occidentales, « BIG PHARMA », qui détiennent les brevets et le droit d’octroyer les licences de production des molécules thérapeutiques innovantes.
À partir de 1994 la mise en place par l’OMC des accords ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), entérine mondialement la distinction coercitive entre les médicaments princeps protégés par des brevets exclusifs d’une validité de 20 ans et les médicaments génériques libres de droit dont les brevets sont tombés dans le domaine public.
Ainsi les États signataires, sous couvert de normaliser à minima la protection de la propriété intellectuelle à l’échelle internationale, se sont vus obligés d’intégrer au sein de leur droit interne, les sanctions prévues par ces accords en cas de contravention.
Ces accords ont mis brutalement fin au statu quo préexistant sur la scène internationale qui permettait légalement aux pays du sud les plus démunis de produire et de commercialiser localement et à faible coût des copies des produits de référence protégés par des brevets dans les pays développés du Nord. Ce qui a permis aux firmes pharmaceutiques occidentales d’étendre le champ d’application de leurs brevets à l’ensemble des pays de l’OMC.
Les ADPIC, en élaborant de nouvelles règles commerciales convenues au niveau international, ont détruit la capacité des pays du sud de produire à bas prix des médicaments innovants à destination de leur propre marché, ce qui a eu pour conséquence mortifère de nuire considérablement à la prise en charge thérapeutique des populations africaines.
« À qui sait attendre, le temps ouvre ses portes. » (Proverbe chinois)
De manière opportune, à partir des années 2000, de nombreuses molécules brevetées dans les années 90, ayant constitué le fondement du business model du « blockbuster » permettant aux grands groupes pharmaceutiques mondiaux des gains exclusifs de plusieurs milliards de dollars, sont en train de tomber massivement dans le domaine public et deviennent généricables.
Ce phénomène est appelé à s’accélérer dans les années à venir, à un tel point que les analystes de nombreux cabinets spécialisés dans l’étude du secteur pharmaceutique, n’hésitent pas à surnommer de « Patent Cliff » (littéralement falaise des brevets) les échéances qui attendent le secteur pharmaceutique dans les décennies à venir.
Pour la seule année 2013, l’expiration massive des brevets à l’échelle internationale, a engendré un recul du chiffre d’affaire mondiale du secteur pharmaceutique de près de 135 milliards de dollars. Cette chute de 20 % du chiffre d’affaire mondiale des majors de l’industrie pharmaceutique mondiale, a réduit significativement la visibilité de leurs perspectives à moyen terme et mis fin à l’ère des blockbusters.
Cette conjoncture du secteur pharmaceutique mondial, ouvre le chemin d’une nouvelle ère permettant le développement d’une stratégie de coopération panafricaine en vue de l’amorce d’une indépendance thérapeutique bénéficiant à l’ensemble du continent.
Elle se matérialisera en privilégiant au sein du continent l’approvisionnement en médicament « made in Africa » tout en négociant un transfert horizontal de technologie, au lieu d’importer des produits aux coûts exorbitants fabriqués par des multinationales étrangères.
À titre d’exemple, bien que placé derrière l’Afrique du sud, le Maroc, deuxième producteur de produis pharmaceutique en Afrique avec ses 40 usines dont certaines sont en cours d’implantation au Rwanda et en Côte d’ivoire, réussi à couvrir 80 % de ses besoins pharmaceutiques tout en exportant plus de 10 % de sa production.
Ces points ont été à l’ordre du jour lors de la première rencontre « Menafrique Santé » sur la coopération Sud-Sud pour le développement de la santé qui a rassemblé en 2017 à Casablanca au Maroc, certains hauts responsables ministériels Africains et de grands acteurs privés de l’industrie pharmaceutique africaines.
Durant ce sommet, le Maroc s’est proposé de partager son expérience dans le domaine de la santé en promouvant l’idée d’un transfert de technologies et de son savoir-faire aux pays frères du continent africain.
Ce sommet a également mis l’accent sur le développement d’une industrie pharmaceutique africaine compétitive, en faisant prévaloir l’exemple concret des génériques qu’il produit localement pour traiter l’hépatite C qui sont à qualité égale, vendu localement à des prix en moyenne 89 fois inférieurs à ceux importés d’Europe ou des États-Unis.
Pour que cette stratégie soit viable, il est impératif de réorganiser et de simplifier les différents cadres juridiques des législations sanitaires des pays membres en vue d’établir l’harmonisation des procédures d’obtention des autorisations de mise sur le marché. Cette harmonisation aura pour but d’éviter le morcellement des marchés pharmaceutiques au sein de l’union Africaine, et ainsi permettre aux laboratoires africains de gagner en compétitivité face aux producteurs de génériques asiatiques.
Le repositionnement thérapeutique des médicaments génériques : le chemin le plus court vers l’acquisition d’une souveraineté sanitaire africaine à moindre coût
La pandémie de la COVID 19 avec son cortège délétère de politiques sanitaires de cloisonnement mises en place à l’échelle mondiale (confinements, restriction de la mobilité des biens et des populations, fermeture des frontières etc…), a profondément bouleversé la gestion de la chaîne logistique d’approvisionnement des biens d’importations, remettant en cause la logique jusque-là triomphante des chaînes de valeur mondiales.
C’est une année charnière marquant une réelle prise de conscience que la déliquescence des modèles sociologiques globalisant dans un monde redevenu multipolaire et qui voit s’accélérer le bouleversement des rapports de force internationaux.
Le développement d’une stratégie vaccinale opérationnelle au vue de la grande plasticité du génome des agents infectieux appartenant à la famille des coronavirus, s’avère très hasardeux et peut prendre de nombreuses années (en moyenne 6 à 7 ans).
Ainsi, de nombreux acteurs publics et privés impliqués dans le domaine de la santé ont très vite été tentés d’accélérer la mise au point de solutions thérapeutiques en ayant recours au « repositionnement de molécules thérapeutiques » espérant ainsi gagner un temps considérable dans le traitement des patients.
En effet, trouver une ou plusieurs autres indications thérapeutiques, pour un médicament dont l’innocuité a été au préalable éprouvée lors d’études cliniques, présente d’énormes avantages en termes de coût et de réduction du temps de développement par rapport à un nouveau candidat médicament.
En fait, l’ensemble des médicaments commercialisés possédant une AMM ont une efficacité thérapeutique qui a été évaluée pour une maladie donnée en fonction de leur interaction effective avec une cible cellulaire donnée que l’on considère comme le mode d’action principal à potentialiser.
Seulement, en réalité chaque molécule thérapeutique n’a pas qu’une seule cible cellulaire dans le corps humain, mais aurait en moyenne une action effective sur 6 à 13 cibles cellulaires différentes, ce qu’il lui confère potentiellement un grand nombre de modes d’actions différents, qui peuvent provoquer ce que la plupart des cliniciens appellent communément des effets secondaires indésirables quand ils ne cadrent pas avec l’effet thérapeutique souhaité.
Il est donc hautement probable qu’une molécule ayant été évaluée et validée ou non pour une maladie donnée puisse détenir de multiples indications thérapeutiques et être efficace dans le traitement de plusieurs pathologies.
Le bénéfice des données accumulées après leur mise sur le marché durant la phase de pharmacovigilance assurant le suivi à long terme d’une large population traitée, permet un dépistage minutieux des effets secondaires ou complications susceptibles de survenir à long terme, tout en permettant une meilleure compréhension des différents modes d’actions du médicament.
De ce fait, le repositionnement thérapeutique de médicaments se révèle être une stratégie ingénieuse présentant nombre d’avantages très attractifs car nombre de critères tels la toxicité, la tolérance et la pharmacocinétique ont déjà été évalué et n’ont plus besoin d’être effectué, ce qui permet de réduire considérablement le délai de développement clinique.
La possibilité de passer directement, en cas de résultats positifs de la nouvelle indication thérapeutique, des essais précliniques in vitro ou in vivo chez l’animal à l’essai clinique de phase II chez l’homme, permet de réduire drastiquement les coûts des essais cliniques complémentaires à mener pour sa validation.
Et enfin le fait de pouvoir appliquer cette stratégie aux médicaments génériques libres de droit dont les brevets sont tombés dans le domaine public, permet à l’ensemble des pays émergents de se l’approprier librement.
La campagne massive d’intoxication médiatique et scientifique mondiale menée à l’encontre de l’hydroxychloroquine, a révélé au monde l’importance stratégique que revêt le repositionnement thérapeutique des génériques sur le secteur globalisé extrêmement concurrentiel du marché pharmaceutique mondial.
À l’instar de l’hydroxychloroquine ou de l’Azithromycine, repositionnées avec succès à l’encontre de la COVID 19, la stratégie du repositionnement thérapeutique de médicaments génériques est une approche généraliste permettant de trouver très rapidement et à faible coût des solutions thérapeutiques innovantes à l’ensemble des pathologies présentes et futurs sans restrictions.
Cette stratégie, en influant de manière déterminante sur la capacité souveraine des États à établir une politique de santé publique saine et équitable, représente actuellement un enjeu économique et géopolitique mondial majeur.
Elle donne la possibilité à l’ensemble des acteurs sanitaires du continent qui en ont la volonté, d’entreprendre et de développer le projet souverain d’améliorer à moindre coût et surtout en toute indépendance, la prise en charge thérapeutique de leurs concitoyens.
Les implications de cette stratégie sur les budgets alloués à la prise en charge des dépenses de santé que cela soit par les organismes sociaux étatiques, les mutuelles, les assurances santé privées ou à titre de dépenses particulières à la charge exclusive des patients, sont tout juste évidentes.
- La diminution significative des dépenses de santé permet en premier lieu d’améliorer de manière qualitative et quantitative la prise en charge thérapeutique des patients, sans peser sur le budget santé des divers organismes publics ou privés.
- La démocratisation de la prise en charge thérapeutique va permettre aux assurances privées d’étendre leurs remboursements tout en réduisant les coûts de leurs contrats, ce qui aura comme effet de permettre à de nombreux citoyens d’avoir accès à une couverture médicale abordable.
- Réduire la paupérisation de millions de citoyens aux revenus précaires qui chaque année se trouvent ruinés par les paiements directs de soins de santé aux coûts prohibitifs.
- Une relocalisation nationale des fonds alloués à la prise en charge des dépenses de santé qui à travers l’utilisation des médicaments importés à grand frais de l’étranger servaient jusqu’à présent à enrichir les multinationales pharmaceutiques étrangères.
- Permettre d’accélérer l’agenda nous menant vers l’établissement souverain d’une couverture de santé universelle Africaine (CSU) sans dépendre de ressources externes allouées sous conditions par divers organismes internationaux.
Cet objectif souverain est actuellement à portée de main et dépend exclusivement, d’un leadership politique et économique courageux des décideurs nationaux. Il pourrait rapidement se matérialiser à l’échelle africaine à travers l’élaboration d’une collaboration multilatérale égalitaire dont l’intégrité opérationnelle et la vision stratégique seraient à la mesure des enjeux encourus.
“ En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité.” (Thomas SANKARA)
Bonjour
Très bonne analyse. Bravo