Il faut que la Russie fasse un virage
Source : reseauinternational.net – 24 novembre 2021
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C’est le titre d’un article signé Aleksandr Khamtchikhine, le directeur adjoint de l’institut d’analyse politique et militaire, un think tank proche du complexe militaro-industriel russe. Cet article est donc important car, pour la première fois un expert reconnu provenant du groupe des « directeurs rouges » (les directeurs communistes devenus patron de leur entreprise lors des privatisations) au sein du régime (Khamtchikhine a été un analyste très proche du Premier ministre Tchernomyrdine, sous Boris Eltsine) appelle à arrêter de s’entêter dans la voie européenne, car ce n’est plus là que ça se passe. Un article plein de réalisme politique, qui dénote le début d’un basculement général de l’élite russe, qui n’est pas sans intérêt pour un lecteur français.
Le regard vers l’Orient et le derrière vers l’Occident
L’Occident, après l’effondrement de l’URSS, a commis à l’égard de la Russie presque toutes les erreurs qui pouvaient être commises. Le plus fondamental d’entre elles a été l’attitude vis-à-vis de la Russie comme avec un pays vaincu, qui doit renoncer volontairement à tout intérêt national. C’est la cause de tous les problèmes ultérieurs qui ont conduit à la seconde guerre froide actuelle.
Le mythe des vaincus
Contrairement au mythe le plus stupide extrêmement répandu, la Russie, même dans les 1990, n’a pas «capitulé» devant l’Occident et n’a pas « dansé sous son air de flutte ». Malgré la catastrophe économique héritée de l’URSS, Moscou opérait en Transnistrie, dans le Caucase (y compris en Géorgie) et en Asie centrale (principalement au Tadjikistan) sans regarder aucunement en direction de l’Occident. C’est exclusivement en sa faveur, que la Russie a partagé la flotte de la Mer Noire avec l’Ukraine en 1997.
Dans le même temps, Moscou voulait sincèrement entrer dans le « monde civilisé », que l’Occident avait lui-même proclamé, en tant que membre à part entière et respecté. Et c’était le désir de la majorité absolue de toute l’élite russe et d’une majorité notable de la population du pays, ce qui est maintenant oublié pour je en sais quelle raison. En conséquence, parler de « capitulation » et de « danse sous l’air de flutte » est tout simplement ridicule.
À la fin des années 1990, il est devenu clair que nous avons été « un peu jetés », c’est pourquoi en 1999, dans le cadre de la guerre en Yougoslavie, il y avait la première rupture de la Russie avec l’OTAN. Au début des années 2000, déjà sous un nouveau Président, une deuxième tentative a été faite par Moscou pour «entrer dans le monde civilisé». Le résultat que nous observons aujourd’hui.
Pour l’Occident, la victoire de la guerre froide, comme cela est maintenant clair, s’est avérée être un gros problème, car cette victoire a été tout à fait mal évaluée.
En Occident, ils ont sérieusement décidé qu’il y avait une « fin de l’histoire ». Que la Russie a effectivement capitulé, et ce processus est irréversible. Que maintenant, l’Occident peut absolument tout, et tous les autres devaient accepter cela sans barguigner. C’est-à-dire, à partir des mêmes faits, la Russie et l’Occident ont tiré des conclusions complètement différentes et ont évalué la même réalité de manière complètement différente. À cause de cela, tous les tristes événements qui ont suivi se sont produits.
Le mythe des gagnants
Contrairement à un autre mythe, non moins commun et non moins stupide que le mythe de la « capitulation de la Russie », l’OTAN n’a jamais voulu et n’a toujours pas l’intention de nous attaquer.
Comme indiqué ci-dessus, la Russie a été perçue comme un pays perdant, psychologiquement brisé et en pleine crise économique. En conséquence, l’Alliance n’avait aucune raison d’attaquer la Russie, et encore moins de s’attendre à une attaque de sa part. La dissolution de l’Alliance après l’effondrement du Pacte de Varsovie et de l’URSS n’a pas eu lieu, d’abord parce qu’il semblait étrange de dissoudre le bloc vainqueur. Et deuxièmement, aucune bureaucratie ne se dissoudra jamais d’elle-même.
De plus, c’est l’énorme bureaucratie de l’OTAN, après plusieurs années de recherche par l’Alliance du sens de son existence après la disparition de l’ennemi, a trouvé un nouveau projet remarquable : l’expansion vers l’est. Ce projet était principalement bureaucratique, fournissant aux sommets de l’OTAN un travail intéressant et bien rémunéré pour de nombreuses années à venir. Il y avait, bien sûr, un sous-entendu politique : « l’extension de l’espace de la liberté et de la démocratie » à l’ancien bloc soviétique. Ce n’est qu’à cet égard que l’expansion a indirectement affecté la Russie: les pays qui ont adhéré à l’OTAN se sont automatiquement retirés de sa sphère d’influence. L’expansion n’avait aucune importance militaire.
On peut se rappeler que dans le « grand échiquier » écrit à la fin des années 1990, Zbigniew Brzezinski (ancien scerétaire à la sécurité nationale de l’Administration Carter) a admis que la Russie pouvait également devenir membre de l’OTAN, bien que ce ne soit qu’après l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance. Mais l’essentiel, bien sûr, n’est pas l’opinion de Brzezinski, mais le fait le plus évident du désarmement total de l’OTAN, physique et mental. L’OTAN actuelle, qui comprend 30 pays, est beaucoup plus faible dans toutes les classes d’armes qu’en 1991, lorsque l’Alliance comptait 16 pays.
Même les forces armées américaines ont en grande partie été défigurées par la «lutte contre le terrorisme international». Il n’y a rien à dire sur les pays européens : Ils ne sont, en principe, pas capables de faire la guerre aujourd’hui avec un adversaire d’égale force. De plus, comme l’a montré la honte afghane, l’OTAN aujourd’hui n’est capable de mener aucune guerre.
Le fait est que le désarmement physique de l’OTAN n’est qu’une conséquence naturelle du désarmement mental de l’Occident. La psychologie des sociétés occidentales modernes exclut, au nom de quelque idée que ce soit, la possibilité pour une personne de sacrifier non seulement la vie, mais ne serait-ce que son propre bien-être. Par conséquent, non seulement une personne ne mourra pas au combat, mais elle est également fermement opposée à l’augmentation des dépenses militaires du pays.
En conséquence, pour l’actuelle OTAN, même les « guerres-coups de poing », lorsque l’ennemi n’a rien pour répondre, deviennent insupportables en raison du coût extrême des équipements et des munitions modernes (c’est-à-dire des consommables). La guerre avec la Russie pour l’Alliance est donc absolument exclue.
Une nouvelle réalité
L’expansion vers l’Est, sur un plan purement militaire, est devenue pour l’OTAN la défense d’un espace de plus en plus vaste par des forces de plus en plus petites. En particulier, l’Alliance s’est entraînée elle-même dans le « piège de la Baltique », car il est impossible de défendre la Baltique par des forces conventionnelles, d’autant plus qu’elles ont été radicalement réduites. Soit il faut accepter sa perte rapide et irrévocable, soit il faut immédiatement passer à une phase nucléaire suicidaire.
Cependant, à Bruxelles et à Washington on a réussi à se convaincre que la Russie est parfaitement sûre et que sa seule tâche dans un nouveau monde magnifique est de fournir du pétrole et du gaz en toute quantité à des prix modérés à l’Ouest. Le refus de Moscou de ce rôle a provoqué une indignation extrême et le désir de la remettre immédiatement à sa place.
Après le début des événements en Crimée et dans le Donbass en 2014, l’indignation est devenue hystérique. Maintenant, il a déjà été oublié que l’une des principales exigences de Bruxelles à Moscou à ce moment-là était de « cesser les actions effrayantes ». Cela a été dit sincèrement et du fond du cœur. La Russie a non seulement refusé de jouer le rôle qui lui était assigné, mais a également osé effrayer l’OTAN ! Qu’est-ce qui pourrait être plus scandaleux?
Le piège psychologique dans lequel l’OTAN s’est elle-même posée s’est avéré beaucoup plus profond que le « piège balte » purement militaire. Bruxelles et Washington ne sont pas en mesure de changer les relations avec Moscou et de lui parler enfin sérieusement et sur un pied d’égalité, ni de se mobiliser et de commencer à s’opposer à elle sérieusement. Tant son attitude méprisante et arrogante à l’égard de la Russie que son propre désarmement global sont entrés très fermement dans la mentalité occidentale, ne permettent pas de surmonter cette contradiction.
D’où les nouvelles et nouvelles sanctions contre la Russie, qui ne font que souligner une impuissance militaire et se transforment en une franche rigolade. Conscient de cela, l’OTAN est de plus en plus hystérique et a de plus en plus peur de ce qui ne peut pas, en principe, pas se passer : une agression russe.
Après sept ans de cette situation surréaliste, Washington a commencé à se rendre compte qu’on n’avait pas la possibilité de s’opposer simultanément à la Russie et à la Chine. De toute évidence, les États-Unis ont l’intention de réduire les tensions avec la Russie afin d’empêcher son rapprochement avec la Chine. Cependant, il y a de gros doutes sur le fait que Washington puisse réussir dans ce domaine: le « bâton » américain ne fait qu’aigrir Moscou et Washington n’a pas de « carrote » pour Moscou, car ils ne sont pas prêts à dialoguer sur un pied d’égalité avec elle.
Les américains intimident simplement la Russie avec la menace chinoise, tout en ne lui offrant rien. Oui, en fait, la menace chinoise est très grave pour nous. Mais le problème est que la capitulation devant l’Occident (et l’Occident ne nous offre rien d’autre) ne nous donnera absolument rien dans n’importe quel domaine. Pas un seul avantage.
Mais il y aura un grand nombre d’inconvénients, y compris en terme de lutte contre la menace chinoise. Parce que s’attendre à ce que les États-Unis et l’OTAN nous protègeraient de la Chine ne peut se concevoir que dans une « penséer alternative » (oui, même formellement, l’OTAN ne nous le promet pas, elle ne promet rien du tout). Dans le même temps, la capitulation devant l’Occident nous affaiblirait de manière catastrophique à l’égard de la Chine, tant militairement que politiquement.
Nouvelles réalités
Mais tout ce raisonnement est apparemment déjà trop compliqué pour les politiciens et les analystes américains. Ils continuent à vivre dans leur monde spécifique.
Fin septembre, un nouveau cycle de dialogue stratégique entre les États-Unis et la Fédération de Russie a eu lieu à Genève. Il n’a certainement pas apporté de résultats clairs. La sous-secrétaire d’Etat Wendy Sherman, qui représentait Washington lors de ces négociations, a ensuite effectué une tournée en Asie, en particulier en Inde. On lui a demandé ce que les États-Unis pensaient de la prochaine Livraison par la Russie à l’Inde de S-400 (une arme purement défensive, conçue pour se protéger principalement de la Chine). La réponse de Sherman peut être considérée comme simplement automatique : « Nous nous sommes prononcés assez publiquement à propos de tout pays qui a décidé d’utiliser le S-400. Nous pensons que c’est dangereux et que ce n’est dans l’intérêt de personne ».
De tels propos ne peuvent être prononcés que par un idiot clinique, ou par une personne complètement éloignée de la réalité. Supposer qu’une idiote clinique est nommée à un poste de politique étrangère aussi élevé est toujours difficile (du moins pour l’instant). Par conséquent, il existe une indigence totale et absolue dans la politique étrangère américaine, indépendamment de son personnel.
À cet égard, la décision de la Russie de mettre fin au dialogue avec l’OTAN peut être considérée comme la seule possible. En fait, ce dialogue a toujours été inutile, même à l’époque où il y avait des illusions sur les relations entre Moscou et Bruxelles. Maintenant, il est devenu très clair qu’il n’y a rien à dire, rien à se dire et personne à qui parler. Au moins jusqu’au changement complet de génération d’hommes politiques occidentaux.
Dans le même temps, nous voudrions que la politique de Moscou devienne pleinement réaliste pour que cesse l’hystérie permanente concernant la menace d’agression de l’OTAN contre nous. Plus le temps passe, plus ce sujet semble indécent. Même la propagande ne devrait pas se détacher complètement de la réalité.
Il est nécessaire, enfin, de laisser cette collection d’impuissants seuls avec leurs complexes et leurs problèmes. Et se tourner vers l’Est pour de vrai, pas au niveau d’un slogan destiné à l’Occident. Le nouveau centre du monde est maintenant à l’Est. Washington l’a déjà compris.
Et maintenant, la « vraie » Alliance militaire de l’Occident devient l’AUKUS, et l’OTAN se transforme en une structure franchement factice. C’est l’AUKUS qui est conçue pour résoudre la mission principale de Washington (la dissuasion vis-à-vis de la Chine), il comprend des alliés vraiment proches et fiables des États-Unis : les Anglo-saxons. L’incapacité de l’OTAN sera masquée par une rhétorique anti-russe de plus en plus dure et agressive, un ensemble d’actions démonstratives mais totalement dénuées de sens sur les frontières russes.
Source :https://nvo.ng.ru/gpolit/2021-11-18/9_1166_turn.html
Bof bof bof.