Le Mali, un symptôme : pourquoi il est temps pour la France de changer sa politique envers l’Afrique

Par François d’Avenel pour Strategika

François d’Avenel est consultant indépendant et analyste en stratégie internationale. Son expertise porte plus particulièrement sur l’Afrique et le Moyen-Orient.

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A la veille des élections, la question du cap de la politique étrangère de la France se pose avec acuité. Emmanuel Macron, ne s’est quant à lui pas encore officiellement déclaré candidat à la présidence de la République. Mais le fait qu’il se représente ou non reste un problème : Macron est de plus en plus critiqué non seulement pour sa politique intérieure (répression des « gilets jaunes », autoritarisme sous prétexte sanitaire, instabilité politique et sociale, « réformes » de la santé et des retraites etc.) mais aussi pour sa politique étrangère.

Le gouvernement malien, dirigé par l’armée, a expulsé l’ambassadeur français, dernier signe en date des tensions croissantes entre le pays d’Afrique de l’Ouest et son ancienne puissance coloniale. Les tensions entre le Mali et la France sont devenues le symptôme le plus clair et le plus dangereux qui montre les erreurs fondamentales d’Emmanuel Macron sur le front africain.

Les points sensibles de la politique étrangère française sous Macron

Tout d’abord, le point faible de Macron en politique étrangère est son projet ambitieux de devenir le leader de l’Europe. Après le départ d’Angela Merkel, le Brexit et au milieu de la pandémie de covid-19, Macron espérait occuper une place clé dans l’establishment européen – mais en fait, il s’est avéré que ses idées sur l’élargissement de l’UE, une armée européenne commune et autres n’ont pas rencontré la réponse appropriée.

De plus, Macron a eu des problèmes avec l’OTAN. Ses commentaires sur la « mort cérébrale » de l’OTAN ont été vivement critiqués par ses alliés. Macron a en outre suspendu la participation de la France à l’opération Sea Guardian de l’OTAN, ce qui lui a également aliéné les pays les plus attachés à l’Alliance atlantique.

Une problématique qui coïncide avec l’absence de certitude quant à la relation de la France avec le bloc anglo-saxon. Le scandale AUKUS en étant la plus criante illustration et une humiliation supplémentaire de la France sous la présidence de Macron. Ainsi, après avoir conclu un accord de partenariat de défense avec Washington et Londres, Canberra a rompu un contrat avec le groupe français Naval qui prévoyait la production de 12 sous-marins d’attaque pour un montant de quelque 66 milliards de dollars. Un véritable coup de poignard dans le dos, à la suite duquel Paris avait rappelé ses ambassadeurs aux États-Unis et en Australie. Ce fut un coup porté à la fois au prestige de la France et à l’établissement de relations saines avec les Anglo-Saxons.

Parmi les ambitions de Macron figure aussi l’amélioration des relations entre les États-Unis et l’Iran – pourtant, les efforts entrepris pour réunir l’ancien président Donald Trump et le président iranien Hassan Rohani avant l’Assemblée générale des Nations unies ont là aussi échoué. Un autre projet international a aussi tenté de résoudre le conflit du Nagorno-Karabakh, mais il n’a pas joué un rôle important dans la signature d’un accord de cessez-le-feu.

Mais l’une des défaites les plus flagrantes de Macron en matière de politique étrangère a été l’Afrique. La politique africaine de Macron, malgré ses efforts, ses visites actives et ses déclarations contre l’héritage du colonialisme, n’a pas réussi à convaincre et à se distancier du passé colonial de la République française[1]. Sa nouvelle initiative politique a là encore échoué.

Ainsi, en plus des 5 000 soldats français présents au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhan, la France a déployé des soldats en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine, à Djibouti et en République démocratique du Congo. Pour l’instant, ayant reconnu son échec, la République française revendique un retrait en douceur de ses forces du continent.

Entre autres choses, Macron a tenté de jouer son rôle en Afrique du Nord pour mettre fin au conflit libyen. Il a accueilli les parties en conflit à Paris, mais ces réunions n’ont donné aucun résultat concret. En 2018, par exemple, il a organisé un sommet libyen à Paris avec les partis libyens, mais le processus de paix s’est enlisé – on se souvient que les élections libyennes ont été à l’époque une nouvelle fois reportées.

Françafrique : douleur et humiliation

Un enchainement de déconvenues et d’échecs qui illustre un déclin certain de la Françafrique[2]. L’historien Bernard Lugan l’attribue au fait qu’à un moment donné, la République française s’est trompée et a commencé à reproduire le modèle d’hégémonie anglo-saxon (primitif, expansionniste, consistant à siphonner les ressources). Ainsi, au lieu d’une possible influence positive de la France et d’une coopération mutuelle basée sur le respect, les échanges culturels et les investissements rentables, la France a finalement acquis l’image de « néocolonisateur », ce qui a provoqué de nombreuses protestations en Afrique. La montée du sentiment anti-français a été l’un des déclencheurs des coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.  

La France, au début du règne de Macron, avait encore une chance d’abandonner cette approche. Mais le fait que Macron ait initialement soutenu une approche néolibérale et globaliste (à l’intérieur comme à l’extérieur) n’a fait que détériorer durablement sa relation avec les Africains. La perte d’influence de la France sur le continent est très traumatisante car il s’agit de la perte d’une importante zone d’influence. La place dans ce vide sera facilement prise par d’autres pays – comme la Turquie.

Le Mali comme symptôme

L’un des coups durs les plus marquants du sentiment anti-français en Afrique a été réalisé au Mali, où une junte militaire a pris le pouvoir en août 2020 et a renversé Ibrahim Boubacar Keita. D’importantes manifestations et mobilisations populaires ont à nouveau eu lieu en janvier, les participants dénonçant les pressions de la CEDEAO et de la France.[3]

Encerclé par les sanctions de la CEDEAO et la campagne médiatique française visant à dénigrer les autorités de transition dans les médias, le peuple malien n’est pas prêt à se rendre et vise à aller jusqu’au bout pour libérer le pays des terroristes islamistes comme des chaînes néocoloniales[4].

Le premier ministre malien s’est exprimé dans une interview aav la chaine nationale ORTM 1 sur la situation actuelle dans le pays, notamment, sur les relations entre l’Etat Ouest-africain et son ancienne métropole. Les autorités de transition maliennes soupçonnent la France d’être derrière les sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) contre le Mali.

Choguel Kokalla Maïga voit les racines de l’instabilité malienne dans la présence des forces étrangères sur le territoire national : « On est en train de nous faire une mauvaise guerre. Si on enlève les influences étrangères, qui ont d’autres agendas, on peut se comprendre entre africains. Le destin de l’Afrique se joue au Mali. Nous ne sommes pas un peuple qu’on peut vassaliser, qu’on peut rendre esclave par procuration. Il y a un processus de vassalisation de l’Etat malien à travers la CEDEAO », a-t-il accusé.[5]

Il a précisé que depuis l’arrivée en 2013 des forces internationales, le terrorisme non seulement n’a pas été éliminé, mais s’est propagé à 80% du territoire du pays. « Neuf ans après, le terrorisme a quitté l’extrême nord du Mali pour se déployer dans 80 % du pays. L’intégrité du territoire n’est pas rétablie et les résolutions des Nations Unies changent chaque année au point que cette année nous nous sommes opposés à l’une d’elle. Tirez-vous même la conclusion », a-t-il appuyé.[6]

Pour le moment, plusieurs forces sont présentes au Mali : l’armée malienne, Barkhane, G5 Sahel, Takuba, EUCAP Sahel alors que la situation ne fait qu’empirer. D’après le Premier ministre malien, si l’état des lieux ne change pas, le Mali risquerait de se plonger dans une spirale de violence constante. Au titre de rappel, le Mali avait demandé, à travers la CEDEAO et l’Union africaine, la création d’une force internationale, appelée la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine). Cette mission, qui comprenait des soldats de 14 pays africains, a été créée en janvier 2013, autorisée par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.

« Dès sa création, les diplomates français ont commencé à dénigrer la MISMA. Les écrits existent. On a fait traîner les choses. Quand on a constaté l’absence des capacités de la MISMA, on a créé la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) », a-t-il noté.[7]

Néanmoins la présence des éléments onusiens n’a pas également contribué au rétablissement de l’autorité d’Etat sur tout l’étendu de territoire. En outre, le chef du gouvernement est certain que les troupes françaises ont empêché l’armée malienne de se déployer dans le nord du Mali. « Ils ont amené 4000 militaires français, fait venir des africains et la MINUSMA. Ils ont interdit à l’armée malienne d’accéder à une partie de son territoire alors qu’ils proclament que c’est pour recouvrer l’intégrité du territoire. Donc, il y a le discours apaisant et la réalité. Lorsque l’armée avait voulu envoyer un avion pour suivre le mouvement d’un groupe terroriste au nord, ils ont refusé prétextant qu’il s’agissait d’une zone d’entraînement nocturne de Takuba (force européenne). Nous n’allons plus demander d’autorisation pour survoler notre territoire à qui que ce soit », a ainsi annoncé Choguel Kokalla Maïga.[8]

Les populations maliennes soutiennent le cap des autorités de transition dirigé par le colonel Assimi Goita. Les Maliens ont manifesté le 14 janvier 2022 pour exprimer leur soutien total à la junte. La décision de la CEDEAO est critique : le peuple ne comprend pas pourquoi l’institution économique fait tout son possible pour empirer la situation au lieu d’appuyer les autorités de transition dans la lutte contre le terrorisme et leurs efforts en vue de rétablir la sécurité.

Le coup d’État au Mali est considéré comme un coup dur pour le président Macron, qui soutenait Keita et cherchait à améliorer les relations avec les anciennes colonies d’Afrique. Après les dernières décisions des autorités maliennes, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a critiqué la décision « irresponsable » du cabinet militaire de transition le 27 janvier, et le 31 janvier, le Mali a déclaré qu’il expulsait l’ambassadeur de France en raison des « déclarations hostiles » des responsables français. Les tensions sont maintenant montées à un niveau extrême, et la France sous Macron a perdu toute crédibilité au Mali. L’un des résultats immédiats de la politique de Macron au Mali a été la forte coopération de Bamako avec Moscou en matière de sécurité.

Conclusion

À l’approche de l’élection présidentielle, la France doit en priorité résoudre ses problèmes intérieurs lourds et ensuite seulement passer à l’espace de la politique étrangère. La campagne cosmétique de “blackwashing” de la Françafrique par Macron est clairement inefficace[9], et ses voyages de Noël ne sont là que pour la jolie photo médiatique.

La France a besoin d’une nouvelle politique envers l’Afrique, une politique basée sur le respect mutuel et non sur des principes globalistes néocoloniaux mal masqués par le politiquement correct et l’hypocrisie. La France elle-même doit d’abord affirmer sa souveraineté et pacifier sa crise politique intérieur récurrente, et ensuite seulement, penser à se projeter à l’échelle de l’UE puis des autres continents. Sans cela, les coups d’État dans d’autres États africains comme le Mali, se poursuivront précisément sous des slogans antifrançais, compromettant le développement des futures relations géopolitiques et économiques de la France avec le continent africain.

Ceci alors que, comme nous l’écrivions déjà en septembre dernier : « À première vue, ce système néocolonial semble profiter à la France elle-même, mais c’est une erreur. Son principal bénéficiaire en est la haute bourgeoisie cosmopolite, qui installe en France les conditions du chaos migratoire et de la destruction économique des classes moyennes et populaires françaises. » [10]

La présidence Macron est une catastrophe autant à l’intérieur qu’au niveau international. Jamais la France n’a été aussi détestée sur le continent Africain que sous Macron comme l’illustre la situation au Mali. Les régulières et ridicules déclarations d’autoflagellation mémorielle sur le passé colonial de la France ne réussissant pas à masquer la réalité bien réelle du colonialisme contemporain des multinationales apatrides dont Macron est le représentant. Bien au contraire, cette repentance hypocrite – et perçue légitimement comme telle par les Africains – ne fait qu’exasperer encore plus les tensions entre la France et les opinions publiques africaines. Situation qui ne peut que compromettre les possibilités futures de relations économiques et politiques sereines et équilibrées entre la France et les pays d’Afrique.


[1] Le sommet Afrique-France de Macron : la stratégie ratée de “blackwashing” de la Françafrique, François d’Avenel, Strategika – 23 octobre 2021
https://dev.strategika.fr/2021/10/23/le-sommet-afrique-france-de-macron-strategie-ratee-de-blackwashingde-la-francafrique/

[2] Echec militaire au Mali : une occasion d’en finir enfin avec la « Françafrique » ?
https://dev.strategika.fr/2021/09/27/echec-militaire-au-mali-une-occasion-den-finir-enfin-avec-la-francafrique/

[3] Impressionnantes images de la manifestation sur le compte twitter officiel de la Présidence de la République du Mali : « Le peuple malien debout comme un seul homme pour dénoncer les sanctions excessives de la CEDEAO\UEMOA » https://twitter.com/PresidenceMali/status/1482044426486747139?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1482044426486747139%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Ffr.euronews.com%2F2022%2F01%2F14%2Fmali-manifestations-massives-contre-la-cedeao-et-la-france

[4] Echec militaire au Mali : une occasion d’en finir enfin avec la « Françafrique » ?
https://dev.strategika.fr/2021/09/27/echec-militaire-au-mali-une-occasion-den-finir-enfin-avec-la-francafrique/

[5] Choguel Kokalla Maïga accuse la France d’avoir voulu « diviser » le Mali

https://maliactu.net/choguel-kokalla-maiga-accuse-la-france-davoir-voulu-diviser-le-mali/

[6] Idem

[7] Idem

[8] Idem

[9] Le sommet Afrique-France de Macron : la stratégie ratée de “blackwashing” de la Françafrique, François d’Avenel, Strategika – 23 octobre 2021
https://dev.strategika.fr/2021/10/23/le-sommet-afrique-france-de-macron-strategie-ratee-de-blackwashingde-la-francafrique/

[10] Echec militaire au Mali : une occasion d’en finir enfin avec la « Françafrique » ?
https://dev.strategika.fr/2021/09/27/echec-militaire-au-mali-une-occasion-den-finir-enfin-avec-la-francafrique/

3 pensées sur “Le Mali, un symptôme : pourquoi il est temps pour la France de changer sa politique envers l’Afrique

  • 5 février 2022 à 13 h 13 min
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    Si la France au lieu de piller les matières premières africaines pour ensuite aller les vendre aux chinois, aux allemands, aux américains…(car en France il n’y a plus beaucoup d’industries de transformation) donc si au lieu de piller les ressources africaines, elle investissait en Afrique, en y construisant les usine de transformation pour donner de la valeur ajouté aux matière premières et en donnant des parts de ces industries aux africains (disons par exemple 15% gratuitement aux villageois où sont exploité les ressources et transformées, et 20% payants aux investisseurs africains, il faudra leurs permettre au même titre que les investisseurs français a avoir droit aux crédits et au même taux d’intérêts, et qu’elles (entreprises françaises) paient leurs impôt et taxes à l’Etat, que les populations de ces pays soient les premiers a bénéficier du travail dans ces usines et non des expatriés français…) je vous promet qu’il n’y aura plus de sentiment anti-français. Mais si des entreprises minières françaises viennent, exploitent, et exportent les matières premières, des fois sans même payer d’impôt à l’Etat ou très peu. Que ces entreprises s’enrichissent alors que la population s’appauvrit (sans travail, chassé de leur terres…). Que la France va même a déstabiliser et à tout faire pour que des pays africains se noient dans des guerres interminables (ainsi il est plus facile de les piller)…vous comprenez que ça ne peut pas aller.
    Il faut stopper cette politique impérialiste de prédation, et commencer à tisser des relations ganant-gagnant.

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  • 5 février 2022 à 15 h 18 min
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    À une autre époque, les va-t-en-guerre provocateurs réglaient eux-mêmes leurs conflits, à cheval et avec une lance et une épée…

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  • 5 février 2022 à 15 h 30 min
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    Que l’armée française parte! Ses chefs trop politiques ont été incapables d-expliquer à leur gouvernement la bonne stratégie à suivre. Nous verrons bien ce que feront les militaires maliens pour leur pays, eux qui ont été incapables de faire quoi que ce soit depuis 30 ans et nous appelaient au secours! Avec des sociétés privées c’est plus simple: on massacre tout le monde et on domine par la terreur…Pas nos valeurs. MACRON humilie une fois de plus l’armée française

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