Virgile et le cheval de Troie : ou comment comprendre leurs guerres hybrides – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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Diuidimus muros et moenia pandimus urbis.
Jusqu’où l’amusante crédulité de la plèbe occidentale peut-elle aller (guerre, virus, vaccin, crise…) ? Caitlin Johnson avait parlé, à propos du Venezuela, du grand triomphe du récit narratif.
Triomphe donc du storytelling :
« Si vous pouvez remplacer ce récit par un autre, comme le tentent actuellement des personnes puissantes, il est théoriquement possible d’effectuer un coup d’État par pur récit. Vous ne pourriez pas demander une illustration plus parfaite du pouvoir du contrôle narratif. »
Évidemment on peut retourner l’argument et estimer que l’absence de l’usage de la force militaire par l’empire occidental est un signe de sa décadence, marquée par un delirium visuel-numérique et hystérique-médiatique. On n’est plus trop capable techniquement face aux russes et aux chinois, vous comprenez… Alors on revient aux bonnes vieilles méthodes, à la guerre psy façon Démosthène !
Comme dit Virgile qu’on va relire aujourd’hui : « ainsi se laissèrent prendre à des ruses et à des larmes feintes ceux que n’avaient pu dompter ni le fils de Tydée, ni Achille de Larissa, ni dix ans de guerre, ni mille vaisseaux… »
Le cheval de Troie et la guerre de Troie ont toujours et justement traumatisé les occidentaux qui bien que descendants culturels des grecs ont pleuré la fin des Troyens. Cependant la fin de Troie était méritée puisque par lassitude, par distraction, par humanitarisme aussi, les Troyens ont fait rentrer le monstre et ses tueurs dans leur ville. C’est que la guerre hybride – ou guerre d’altération de la perception – était déjà passée par là, accompagnée par un attentat désarmant, la mort atroce de Laocoon, prêtre et protecteur spirituel de la cité.
On relit Virgile (Enéide, II) avec un MINIMUM de latin :
« Beaucoup, stupéfaits devant l’offrande à la Vierge Minerve, qui devait être si désastreuse pour nous, s’étonnent de l’énormité du cheval. Le premier, Thymétès nous exhorte à l’introduire dans nos murs et à le placer dans la citadelle. Était-ce perfidie de sa part ou déjà les destins de Troie le voulaient-ils ainsi ? Mais Capys et ceux dont l’esprit est plus clairvoyant nous pressent de jeter à la mer ce douteux présent des Grecs, sans doute un piège, ou de le brûler en allumant dessous un grand feu, ou d’en percer les flancs et d’en explorer les secrètes profondeurs. La foule incertaine se partage en avis contraires (Scinditur incertum studia in contraria uolgus). »
En réalité le sort en est jeté, pour parler comme l’autre. Comme le chien Ran-Tan-Plan de notre impeccable Goscinny, les Troyens « sentent confusément quelque chose », mais ils seront sans force.
La suite avec Virgile et Laocoon :
« Mais voici qu’à la tête d’une troupe nombreuse, Laocoon, furieux, accourt du haut de la citadelle, et de loin : « Malheureux citoyens, s’écrie-t-il, quelle est votre démence ? Croyez-vous les ennemis partis ? Pensez-vous qu’il puisse y avoir une offrande des Grecs sans quelque traîtrise ? Est-ce ainsi que vous connaissez Ulysse ? Ou des Achéens se sont enfermés et cachés dans ce bois, ou c’est une machine fabriquée contre nos murs pour observer nos maisons et pour être poussée d’en haut sur notre ville, ou elle recèle quelque autre piège. Ne vous fiez pas à ce cheval, Troyens. Quoi qu’il en soit, je crains les Grecs, même dans leurs offrandes aux dieux (Quicquid id est, timeo Danaos et dona ferentis) ! »
Intervient l’attentat. L’attentat comme chez nous sert ici le pouvoir, étant un producteur d’horreur capable de faire craquer des résistances psychologiques et de faire accepter n’importe quoi ; et la mort de Laocoon va précipiter l’écroulement de Troie. Virgile alors décrit ces étranges serpents :
« Voici que, de Ténédos, par les eaux tranquilles et profondes, – je le raconte avec horreur, – deux serpents aux immenses anneaux – (horresco referens – immensis orbibus angues) s’allongent pesamment sur la mer et de front s’avancent vers le rivage. Leur poitrine se dresse au milieu des flots et leurs crêtes couleur de sang dominent les vagues. Le reste de leurs corps glissait lentement sur la surface de l’eau et leur énorme croupe traînait ses replis tortueux. »
La foule réagit alors normalement en blâmant la victime, Laocoon :
« Pour le coup nous tremblons et une peur inouïe pénètre dans tous les cœurs (Tum uero tremefacta nouus per pectora cunctis insinuat pauor) : on se dit que Laocoon a été justement puni de son sacrilège, lui qui d’un fer acéré a profané ce bois consacré à la déesse et qui a brandi contre ses flancs un javelot criminel. »
Et puis on craque façon occidentale :
« On crie qu’il faut introduire le cheval dans le temple de Minerve et supplier la puissante divinité. Nous faisons une brèche à nos remparts ; nous ouvrons l’enceinte de la ville. Tous s’attellent à l’ouvrage. On met sous les pieds du colosse des roues glissantes ; on tend à son cou des cordes de chanvre. La fatale machine franchit nos murs, grosse d’hommes et d’armes. »
L’enthousiasme devient religieux, érotique, sexuel même (cela me rappelle Marc Soriano qui disait du chaperon rouge qu’elle voulait être mangée par le loup, comme nous par la guerre, le mondialisme, l’écologie) :
« À l’entour, jeunes garçons et jeunes filles chantent des hymnes sacrés, joyeux de toucher au câble qui la traîne (funemque manu contingere gaudent). Elle s’avance, elle glisse menaçante jusqu’au cœur de la ville. Ô patrie, ô Ilion, demeure des dieux, remparts dardaniens illustrés par la guerre ! »
La foule est rendue aveugle par la fureur, les Cassandre comme toujours sont ridicules et inutiles :
« Quatre fois le cheval heurta le seuil de la porte, et quatre fois son ventre rendit un bruit d’armes. Cependant nous continuons, sans nous y arrêter, aveuglés par notre folie (instamus tamen inmemores caecique furore), et nous plaçons dans le haut sanctuaire ce monstre de malheur (monstrum infelix). Même alors la catastrophe qui venait s’annonça par la bouche de Cassandre ; mais un dieu avait défendu aux Troyens de jamais croire Cassandre ; et, malheureux pour qui le dernier jour avait lui, nous ornons par toute la ville les temples des dieux d’un feuillage de fête. »
L’ambiance festive de cette apocalypse n’échappera pas aux lecteurs de Muray…
Après ? On dort bien, chez Virgile comme chez Nietzsche (comme dit Zarathoustra, « un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement. ») :
« Cependant le ciel tourne et la nuit s’élance de l’Océan, enveloppant de sa grande ombre la terre, le ciel et les ruses des Myrmidons. Répandus dans l’enceinte de leurs murailles, les Troyens se sont tus et le sommeil presse leurs membres las…Ils envahissent la ville ensevelie dans le sommeil et le vin (Inuadunt urbem somno uinoque sepultam) : les sentinelles sont égorgées ; les portes, ouvertes ; ils y reçoivent leurs compagnons et rassemblent les troupes complices. »
Rien n’aura été épargné aux pauvres troyens, pas même la pleurnicherie humanitaire, arme suprême des mondialistes et des socialistes (pauvres migrants, pauvres multimilliardaires accablés d’impôts, pauvres islamistes massacrés, pauvres cadavres déterrés de Timisoara, pauvres libyens accablés par la tyrannie, etc.). C’est tout le passage prodigieux de l’agent Sinon qui va affaiblir les défenses des troyens.
C’est le triomphe du storytelling débile à travers les âges. Virgile :
« la renommée…elle épouvante les vastes cités, messagère aussi attachée au mensonge et à la calomnie qu’à la vérité. Sa joie était alors de remplir l’esprit des peuples de mille bruits où elle annonçait également ce qui était arrivé et ce qui ne l’était pas… » (Eneide, chant IV).
Troie succombe :
« Ces paroles insidieuses, cet art de se parjurer nous firent croire ce que disait Sinon (Talibus insidiis periurique arte Sinonis credita res) ; et ainsi se laissèrent prendre à des ruses et à des larmes feintes ceux que n’avaient pu dompter ni le fils de Tydée, ni Achille de Larissa, ni dix ans de guerre, ni mille vaisseaux. »
La disparition de Troie c’est 99% d’attentat (Laocoon), d’illusionnisme et de storytelling. Et ils ne changeront pas une recette qui marche.
On laisse Céline conclure à l’aube du massacre de 39-45 :
« Et les Français sont bien contents, parfaitement d’accord, enthousiastes. Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit. »
Sources :
L’Eneide, chants II-IV (http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V02-Plan.html)
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