Jean-Luc Godard et le crépuscule des dieux – Nicolas Bonnal
Par Nicolas Bonnal
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Jean-Luc Godard est mort : dans les années soixante, il a lumineusement et révolutionnairement montré l’américanisation de notre société (à bout de souffle), la consommation des âmes et ses dérivés (Pierrot), la fascisation cybernétique et la tyrannie bureaucratique (Alphaville), l’abrutissement rogue et familial lié à la bagnole (Weekend), l’horreur immobilière des temps gaullistes (deux ou trois choses…), la fin du couple (le Mépris) et de l’âge d’or du cinéma classique (le Mépris toujours). Après, plus rien, un peu comme Rimbaud, il n’y avait plus rien à montrer : « qui vit trop meurt vivant » (Chateaubriand). Idem Belmondo ne fit plus rien après le Marginal, testament d’Audiard pour les anars de droite (se préparer à crever zombifié motive peu). Avec Debord, Baudrillard et Virilio, Godard fut un des derniers esprits vivants. Le Godard jeune fut disciple de mon maître et ami Jean Parvulesco.
Godard pour moi n’a existé que dans les années soixante, au temps de la splendeur de Bardot, de Belmondo, de Marina Vlady. On vit à l’heure de la Conquête du cool décrit par Frank, et Godard incarne à la fois une révolte formelle – qui a totalement disparu depuis du cinéma – et politique, une révolte proche dans l’esprit de celle des situationnistes. En quelques films il remet en cause la réalité de la France bourgeoise, consumériste et gaulliste – et ne propose rien. Quand il va proposer quelque chose (la Chine maoïste, les BBlack panthers, etc.), il va sombrer. Parvulesco confirmé par Antoine de Baecque me disait que dans sa jeunesse il était d’extrême-droite Godard, comme pas mal de cinéastes de cette époque étonnante ; et que lui Parvulesco lui servait de gourou. D’où l’extraordinaire interview de Melville grimé en Parvulesco dans A bout de souffle. L’homme a tout perdu, notamment par rapport à la femme en Amérique woke : tel est le message rigolard du maître goliard. Quel dommage qu’on ait perdu le cinéma de Hawks et de Hitch au passage (voyez mes livres).
Aucune envie de polémiquer. Je rappellerai donc que :
- Dans A bout de souffle, Godard montre (et dénonce sans doute sans le vouloir) l’américanisation en profondeur et en surface de la France. La France est déjà un pays englouti par l’américanisation, peut-être plus que d’autres (d’où sans doute ce très inutile antiaméricanisme qui nous marque tous). La belle américaine mène notre voyou franchouillard à la mort (comme aujourd’hui ils nous remmènent à l’abattoir – on y a pris goût).
- Dans Alphaville Godard annonce le nazisme numérique de la Commission de Bruxelles. C’est la victoire du professeur Von Braun et de la machine. On a tant écrit sur ce sujet – pour rien encore…
- Dans Deux ou trois choses que je sais d’elle, Godard filme l’horreur des banlieues et des HLM. Le grand remplacement a déjà eu lieu et il est dans les têtes et les paysages. Relire Virilio et mon texte sur ce très grand auteur, repris par son éditeur Galilée.
- Dans le Petit soldat Godard fait un film d’extrême-droite, peut-être le seul du cinéma français. C’est sur la guerre d’Algérie. Allez voir.
- Dans le Mépris Godard lamente avec le thème sublime de Delerue la fin du cinéma, la Fin des dieux (il cite Hölderlin et nous montre Fritz Lang), et la fin de la Méditerranée. Le touriste va remplacer les héros odysséens. La crise du couple nous bassine un peu plus.
D’autres films pourraient être cités de cette extraordinaire époque anarchiste de droite, comme les Carabiniers, qui avaient enchanté Polanski. Finissons avec Hölderlin : « les dieux existent peut-être, mais au-dessus- de nos têtes, et dans un autre monde ».
Pour parler comme Virilio, après Godard le cinéma a été dissuadé.